Au cœur des rythmes indiens

Entretien avec James Kippen
English ver­sion

Par Antoine Bourgeau 

James Kippen est un des spé­cial­istes incon­tourn­ables de la musique hin­dous­tanie. Sa ren­con­tre en 1981 avec Afaq Hussain, alors doyen d’une des grandes lignées de joueur de tablā, est le point de départ d’importantes recherch­es sur cet instru­ment et sur les rythmes indi­ens. Il a occupé de 1990 à 2019 la chaire d’ethnomusicologie de la Faculty of Music de l’Université de Toronto (Canada). Formé à l’école de John Blacking et de John Baily, il acquiert par­al­lèle­ment au cours de ses recherch­es la maîtrise de cer­taines langues indo-persanes. Cette habil­ité lui per­met l’analyse de pre­mière main de nom­breuses sources (traités de musique, man­u­scrits de musi­ciens, généalo­gies, icono­gra­phies…) et d’appréhender les dif­férents con­textes socio-culturels indi­ens et leurs muta­tions depuis le XVIIIe siè­cle (cours indo-persanes, empire colo­nial bri­tan­nique, mon­tée du nation­al­isme, post-colonialisme).  Son tra­vail (voir la liste de ses pub­li­ca­tions en fin d’entretien) s’impose comme une con­tri­bu­tion majeure à la com­préhen­sion des pra­tiques rel­a­tives au rythme et au mètre en Inde. J’ai com­mencé à cor­re­spon­dre avec James Kippen lors de mes pro­pres recherch­es sur le tablā à la fin des années 1990. Toujours prompt à partager ses con­nais­sances et son expéri­ence avec ent­hou­si­asme, il me don­na de nom­breux con­seils et encour­age­ments et ce fût un grand hon­neur de le compter par­mi les mem­bres de mon jury de thèse lors de ma sou­te­nance en 2004. C’est avec la même envie de trans­met­tre qu’il a répon­du favor­able­ment à ma propo­si­tion d’entretien. Réalisé à dis­tance entre juil­let et décem­bre 2020, cet échange, à l’origine en anglais, relate près de quar­ante années de recherch­es ethnomusicologiques.

Traduction : Olivia Levingston et Antoine Bourgeau – Octobre 2021.

➡ Source = doi:10.13140/RG.2.2.26071.80804
➡ English ver­sion = doi:10.13140/RG.2.2.12650.03522
or https://bolprocessor.org/kippen-interview/

La voie de l’Inde et du tablā

Comment en es-tu venu à t’intéresser aux musiques de l’Inde et au tablā en particulier ?

J’ai gran­di à Londres, et déjà enfant j’é­tais fasciné par les dif­férentes langues et cul­tures qui étaient intro­duites pro­gres­sive­ment en Grande-Bretagne par les immi­grants. J’étais par­ti­c­ulière­ment séduit par les petites épiceries regorgeant de pro­duits exo­tiques et par les restau­rants indi­ens qui dégageaient des arômes épicés alléchants. Mon père me par­lait sou­vent de ses aven­tures pen­dant les sept années qu’il avait passées en Inde en tant que jeune sol­dat, et j’ai donc dévelop­pé une image très attrayante, bien qu’orientaliste, du sous-continent indi­en. Pendant ma licence de musique à l’Université de York (1975-78), mon ami et cama­rade Francis Silkstone m’a fait con­naître le sitār. J’ai égale­ment eu la chance de suiv­re un cours inten­sif de musique hin­dous­tanie avec le con­férenci­er Neil Sorrell, qui avait étudié la sāraṅgī avec le renom­mé Ram Narayan. La lit­téra­ture disponible à cette époque était rel­a­tive­ment rare, mais deux textes en par­ti­c­uli­er étaient tout de même très influ­ents : « Tabla in Perspective » de Rebecca Stewart (UCLA, 1974), qui a nour­ri en moi un intérêt musi­cologique pour les var­iétés et les com­plex­ités du rythme et le jeu des per­cus­sions et « The Cultural Structure and Social Organization of Musicians in India : the Perspective from Delhi » de Daniel Neuman (Université de l’Illinois, Urbana-Champaign, 1974), un aperçu socio-anthropologique du monde des musi­ciens tra­di­tion­nels et hérédi­taires indi­ens et de leurs points de vue.

 J’ai donc com­mencé à appren­dre le tablā à par­tir des dis­ques 33 tours et des livrets de Robert Gottlieb appelés « 42 Lessons for Tabla », et après quelques mois, j’avais appris suff­isam­ment de tech­niques de base pour accom­pa­g­n­er F. Silkstone lors d’un réc­i­tal. J’ai ensuite été l’élève de Manikrao Popatkar, un excel­lent joueur de tablā pro­fes­sion­nel qui venait d’immigrer en Grande-Bretagne. J’étais « accro » ! De plus, la pen­sée que je pour­rais entr­er dans ce monde socio-musical du tablā en Inde en qual­ité de participant-observateur m’a motivée à chercher des pro­grammes d’é­tudes supérieures où je pour­rais dévelop­per mes con­nais­sances et com­pé­tences tout en com­bi­nant les approches musi­cologiques et anthro­pologiques de R. Stewart et D. Neuman. Sur les con­seils de N. Sorrell, j’ai donc écrit à John Blacking au sujet de la pos­si­bil­ité d’é­tudi­er à l’Université Queen’s de Belfast, et John a été très encour­ageant, en m’of­frant une entrée directe au pro­gramme de doc­tor­at. Il a égale­ment souligné que son col­lègue John Baily avait récem­ment écrit un texte : « Krishna Govinda’s Rudiments of Tabla Playing ». J’avais trou­vé le pro­gramme d’é­tudes supérieures idéal et des guides parfaits.

Approches méthodologiques

« How Musical Is Man » de J. Blacking est un texte fon­da­men­tal paru en 1973, à contre-courant de la pen­sée de l’époque, refu­sant les fron­tières entre musi­colo­gie et eth­no­mu­si­colo­gie ain­si que les oppo­si­tions stériles entre les tra­di­tions musi­cales. J. Blacking avance égale­ment l’idée essen­tielle que la musique, même si ce mot n’existe pas partout, est présente à tra­vers toutes les cul­tures humaines, en ce qu’elle résulte du « son humaine­ment organ­isé ». Sais-tu s’il con­nais­sait les pro­pos d’E. Varèse ? Voulant lui aus­si se démar­quer de la sig­ni­fi­ca­tion occi­den­tale du con­cept de « musique », bien que pour d’autres raisons, il avait avancé en 1941 l’expression de « son organisé ».

Je ne me sou­viens pas que J. Blacking ait men­tion­né Varèse ou ses réflex­ions sur la nature de la musique. John était par con­tre un excel­lent musi­cien et pianiste qui avait sans doute ren­con­tré et étudié beau­coup de musique d’art occi­den­tal, et il est donc pos­si­ble qu’il ait con­nu la déf­i­ni­tion de Varèse. Cependant, alors que la philoso­phie de Varèse est née de la con­vic­tion que les machines et les tech­nolo­gies seraient capa­bles d’or­gan­is­er le son, J. Blacking a voulu porter l’attention sur la musique comme fait social : une activ­ité où la mul­ti­tude des façons dont les êtres humains pro­duisent leurs sons, à la fois comme inter­prètes et surtout comme audi­teurs, per­me­t­trait de révéler beau­coup de choses sur leur struc­ture sociale.

En quoi tes études uni­ver­si­taires ont-elles ori­en­té tes recherches ?

J’ai eu la chance d’avoir non pas un mais deux men­tors : J. Blacking et J. Baily, tous deux très dif­férents. J. Blacking regorgeait d’idées, grandes et inspi­rantes, qui ont défié et révo­lu­tion­né la façon dont on pense la musique et la société, tan­dis que J. Baily a mis l’ac­cent sur une approche plus méthodique et empirique fondée sur la per­for­mance musi­cale et sur la ges­tion scrupuleuse de l’ac­qui­si­tion et la doc­u­men­ta­tion des données.

Il ne faut pas oubli­er que j’é­tais jeune et inex­péri­men­té lorsque j’ai entre­pris ce tra­vail de ter­rain, et donc l’ex­em­ple de J. Baily, axé sur la musique et la col­lecte de don­nées, m’a servi de guide pra­tique dans ma vie quo­ti­di­enne pen­dant mes années en Inde. Et lorsque j’avais en ma pos­ses­sion un énorme cor­pus de don­nées, j’ai pu pren­dre du recul et, inspiré par J. Blacking, j’ai pu iden­ti­fi­er cer­tains des grands mod­èles que ces don­nées met­taient en lumière. J’ai donc été frap­pé par le réc­it cohérent du déclin cul­turel lié à la nos­tal­gie d’un passé glo­rieux et artis­tique­ment abon­dant, et la tra­di­tion musi­cale du tablā de Lucknow était l’un des derniers liens vivants avec ce monde per­du. Cela est devenu l’un des thèmes clés de ma thèse de doc­tor­at et de cer­tains des autres travaux qui ont suivi. Quant à ma car­rière d’en­seignant, j’ai essayé au fil des ans de com­bin­er les meilleures qual­ités de mes deux maîtres, tout en pro­mou­vant tou­jours l’idée que, dans les recherch­es por­tant sur la musique et la vie musi­cale, la théorie devrait naître à par­tir de don­nées solides et ne jamais ignor­er le dia­logue avec la réal­ité ethno­graphique afin de préserv­er ain­si sa valeur heuristique.

Dans « Working with the Masters » (2008), tu décris avec détails et fran­chise (ce qui est assez rare dans la pro­fes­sion !…) ton expéri­ence de ter­rain dans les années 1980 avec Afaq Hussain. Cette expéri­ence, et le réc­it que tu en fais, appa­rais­sent comme un mod­èle pour toute recherche en eth­nolo­gie et en eth­no­mu­si­colo­gie avec la par­tic­u­lar­ité de l’apprentissage musi­cal. Tu rends compte ain­si des phas­es d’approche, de ren­con­tre, de test et, enfin (et heureuse­ment dans ton cas) d’acceptation au sein de l’environnement étudié et de la con­fi­ance accordée per­me­t­tant de déploy­er pleine­ment ses inten­tions de recherche et d’apprentissage musi­cal. Tu abor­des aus­si les réflex­ions éthiques et déon­tologiques indis­pens­ables au chercheur : rela­tion aux autres, con­flits de loy­auté résul­tant des pos­si­bles dis­so­nances entre le rap­port à l’informateur et les objec­tifs ethno­graphique, respon­s­abil­ités vis à vis du savoir récolté et place du chercheur-musicien dans la réal­ité musi­cale de la tra­di­tion étudiée. Au-delà des par­tic­u­lar­ités du con­texte musi­cal, y a-t-il des spé­ci­ficités indi­ennes que les chercheurs occi­den­taux doivent avoir en tête pour entre­pren­dre (et espér­er réus­sir) une étude eth­nologique en Inde ?

La société sud-asiatique a énor­mé­ment changé au cours des 40 années qui se sont écoulées, c’est une évi­dence, et ce depuis que j’ai com­mencé à men­er des recherch­es ethno­graphiques. Mais cer­tains principes, ceux qui devraient guider le proces­sus d’en­quête,  demeurent inébran­lables. C’est le cas du pro­fond respect pour la dimen­sion de l’an­ci­en­neté, qu’elle soit sociale ou cul­turelle. Naturellement, l’ac­cès à une com­mu­nauté est la clef de voute, et il n’y a pas de meilleur « gate­keep­er » ou « spon­sor » (pour utilis­er les ter­mes anthro­pologiques) qu’une fig­ure d’au­torité au sein de la sous-culture que l’on étudie, puisque la per­mis­sion que l’on reçoit se réper­cute sur la hiérar­chie sociale et famil­iale. Le dan­ger, dans une société forte­ment patri­ar­cale comme celle de l’Inde, est que l’on se retrou­ve avec une vision hiérar­chique descen­dante de la vie musi­cale. Si j’avais l’oc­ca­sion de repren­dre mes recherch­es dans ce domaine, j’ac­corderais une plus grande atten­tion à ceux qui se trou­vent à dif­férents niveaux de cette hiérar­chie, en par­ti­c­uli­er aux femmes et à la musi­cal­ité quo­ti­di­enne de la vie dans la sphère domes­tique. En se con­cen­trant unique­ment sur les aspects les plus raf­finés de la pro­duc­tion cul­turelle, on peut pass­er à côté de ce qui a de la valeur dans la for­ma­tion des idées, de l’esthé­tique et des mécan­ismes de sou­tien néces­saires à la survie et à l’é­panouisse­ment d’une tra­di­tion artistique.

 Sur une note plus prag­ma­tique (et qui con­cerne plus sou­vent il me sem­ble les aspects relat­ifs au tra­vail sur le ter­rain), j’ai trou­vé que les entre­tiens formels enreg­istrés étaient rarement très fructueux parce qu’ils étaient ressen­tis comme intim­i­dants et étaient accom­pa­g­nés d’at­tentes élevées. En out­re, une sen­si­bil­ité accrue aux ram­i­fi­ca­tions poli­tiques – micro et macro – nous engageant à par­ler selon nos con­vic­tions, représen­tait sou­vent un obsta­cle à la col­lecte d’in­for­ma­tions. En vérité, offi­cieuse­ment et dans des cir­con­stances déten­dues, moins je demandais et plus j’é­coutais, plus l’in­for­ma­tion que je rece­vais était utile et intéres­sante. La mise en garde est que pour fonc­tion­ner de cette manière, il faut dévelop­per un niveau de patience que la plu­part des Occidentaux auraient du mal à accepter.

Fig. 1 : Séance d’enregistrement d’Afaq Hussain chez James Kippen, Lucknow, 1982,  pho­to de James Kippen

Tu adoptes dans les années 1980 l’« approche dialec­tique » enseignée par J. Blacking en y asso­ciant l’informatique et un pro­gramme d’IA. Le but était d’analyser les fonde­ments du jeu impro­visé des joueurs de tablā. Peux-tu revenir sur la genèse et l’évolution de cette approche ?

J. Blacking était par­ti­c­ulière­ment intéressé par le tra­vail de Noam Chomsky sur les gram­maires trans­for­ma­tion­nelles. Il théori­sait sur le fait que l’on pou­vait créer des ensem­bles de règles pour la musique – une gram­maire – avec plusieurs « couch­es » ; la pre­mière décrirait com­ment ces struc­tures sonores de sur­face étaient organ­isées. Les autres plus pro­fondes, com­prendraient des règles abor­dant des principes de plus en plus généraux sur l’or­gan­i­sa­tion musi­cale et, au niveau le plus pro­fond, la gram­maire for­malis­erait les règles régis­sant les principes de l’or­gan­i­sa­tion sociale. Si le but ultime d’un eth­no­mu­si­co­logue est de reli­er la struc­ture sociale à la struc­ture sonore, ou vice ver­sa, alors c’é­tait cette idée que J. Blacking défendait pour attein­dre cet objectif.

L’été 1981, j’ai fui la chaleur intense des plaines du nord de l’Inde et me suis réfugié près de Mussoorie dans les con­tre­forts de l’Himalaya. J’avais con­venu de retrou­ver mon ami F. Silkstone, qui à l’époque étu­di­ait le sitār avec Imrat Khan et le dhru­pad avec Fahimuddin Dagar à Calcutta. Francis est arrivé avec Fahimuddin et l’un des étu­di­ants améri­cains de Fahim, Jim Arnold. Jim et Bernard Bel (un infor­mati­cien et math­é­mati­cien qui vivait à l’époque à New Delhi) tra­vail­laient ensem­ble pour un pro­jet expéri­men­tal sur l’in­to­na­tion dans le rāga. Bernard est alors arrivé à Mussoorie, égale­ment pour échap­per à la chaleur, et pen­dant env­i­ron un mois nous avons tous vécu ensem­ble dans un envi­ron­nement riche et fer­tile de musique et d’idées. C’est là que Bernard et moi avons dis­cuté pour la pre­mière fois de la notion des gram­maires socio-musicales de J. Blacking, ain­si que de ma fas­ci­na­tion pour un type de com­po­si­tion des joueurs de tablā, avec une struc­ture offrant un thème et des vari­a­tions, con­nues sous le nom de qāi­da. J’étais très curieux d’apprendre que Bernard pou­vait con­cevoir un pro­gramme infor­ma­tique capa­ble de mod­élis­er le proces­sus de créa­tion de vari­a­tions à par­tir d’un thème donné.

L’année suiv­ante, Bernard et moi nous sommes ren­con­trés à plusieurs repris­es : il en a appris beau­coup plus sur le fonc­tion­nement du tablā et j’ai beau­coup appris sur la lin­guis­tique math­é­ma­tique. Ensemble, nous avons créé des ensem­bles de règles – des gram­maires trans­for­ma­tion­nelles – qui ont généré des vari­a­tions à par­tir d’un thème de qāi­da et traité des vari­a­tions exis­tantes pour déter­min­er si nos règles pou­vaient en tenir compte. Mais il était évi­dent que les con­nais­sances mod­élisées étaient les miennes et non celles de musi­ciens experts. Alors nous avons dévelop­pé une stratégie pour impli­quer ces experts en tant que « col­lab­o­ra­teurs et ana­lystes » (une expres­sion sou­vent util­isée par J. Blacking) dans un échange dialec­tique. Après tout, un « sys­tème expert » était des­tiné à mod­élis­er les con­nais­sances d’ex­perts, et il n’y avait pas de meilleur expert qu’Afaq Hussain.

➡ Pour plus d’informations sur ces expéri­ences, voir : https://bolprocessor.org/bp1-in-real-musical-context/

Avais-tu con­nais­sance d’autres types de démarch­es inter­ac­tives comme celle du re-recording dévelop­pée un peu plus tôt par S. Arom ?

J’étais au courant des méth­odes inter­ac­tives de S. Arom pour obtenir les pro­pres per­spec­tives des musi­ciens sur ce qui se pas­sait dans leur musique, tout comme j’é­tais au courant des travaux en anthro­polo­gie cog­ni­tive visant à déter­min­er les caté­gories cog­ni­tives sig­ni­fica­tives pour les per­son­nes que nous étudi­ions. La thèse de S. Arom selon laque­lle les don­nées cul­turelles devaient être validées par nos inter­locu­teurs a cer­taine­ment été très influ­ente. Je ne con­nais­sais pas d’autres approches. Les exi­gences de notre sit­u­a­tion expéri­men­tale par­ti­c­ulière nous ont oblig­és à inven­ter notre pro­pre méthodolo­gie unique pour ce proces­sus d’interaction homme-machine.

On con­naît la crainte des maîtres indi­ens d’une dif­fu­sion de leurs savoirs au-delà de leur gharānā, et en par­ti­c­uli­er cer­taines tech­niques et com­po­si­tions. Quelles étaient l’attitude et l’implication d’Afaq Hussain dans cette démarche qui met­tait à jour les struc­tures des qāida ?

Afaq Hussain n’é­tait pas du tout préoc­cupé par les révéla­tions con­cer­nant le qāi­da puisque l’art de les jouer dépendait de sa capac­ité à impro­vis­er. En d’autres ter­mes, il s’agissait d’une activ­ité axée sur les proces­sus et donc en con­stante évo­lu­tion. A l’inverse, les com­po­si­tions fix­es, en par­ti­c­uli­er celles trans­mis­es de généra­tion en généra­tion au sein de la famille, ne changeaient pas. Celles-ci étaient con­sid­érées comme des atouts pré­cieux et étaient soigneuse­ment gardées.

 Lorsque je repense aux expéri­ences sci­en­tifiques, je m’é­tonne que Bernard ait pu créer une gram­maire généra­tive aus­si puis­sante pour un ordi­na­teur (d’abord un Apple II avec 64k RAM, puis le portable 128k Apple IIc) avec une puis­sance de traite­ment et un espace aus­si lim­ité. Afaq Hussain s’est égale­ment éton­né qu’une machine « puisse penser », pour repren­dre son expres­sion. Nous avons com­mencé par une gram­maire de base pour un qāi­da don­né, puis généré quelques vari­a­tions, et je les ai ensuite lues à voix haute en util­isant la langue syl­labique, les bols pour tablā. De nom­breux résul­tats étaient prévis­i­bles, cer­tains étaient inhab­ituels mais néan­moins accept­a­bles, et d’autres ont été jugés erronés – tech­nique­ment et esthé­tique­ment. Nous avons ensuite demandé à Afaq Hussain de pro­pos­er ses pro­pres vari­a­tions ; celles-ci ont été intro­duites dans l’or­di­na­teur (j’ai effec­tué la saisie en util­isant un sys­tème de cor­réla­tion de clés pour gag­n­er en rapid­ité) et « analysées » pour déter­min­er si les règles de notre gram­maire pou­vaient en tenir compte. De sim­ples ajuste­ments aux règles étaient pos­si­bles in situ, mais lorsqu’une repro­gram­ma­tion plus com­plexe était néces­saire, nous pas­sions à un deux­ième exem­ple et reve­nions à l’exemple d’o­rig­ine dans une ses­sion ultérieure.

Fig. 2 : James Kippen, Afaq Hussain et son fils Ilmas Hussain, Lucknow, 1982, pho­to de James Kippen

Est-ce que ces recherch­es ont con­cerné d’autres types de com­po­si­tion comme les gat ou les tukra ?

Non. L’avantage d’observer une struc­ture de thème et de vari­a­tions comme celle des qāi­da est fondé sur le fait que chaque com­po­si­tion est un sys­tème fer­mé où les vari­a­tions (vistār) sont lim­itées aux élé­ments présen­tés dans le thème. Le but est donc de com­pren­dre les règles non écrites pour créer des vari­a­tions. Les com­po­si­tions fix­es comme les gat, ṭukṛā, paran, etc., com­pren­nent une var­iété d’élé­ments beau­coup plus large et plus imprévis­i­ble, et seraient ain­si très dif­fi­ciles à mod­élis­er. Cependant, nous avons pu expéri­menter sur le type de com­po­si­tion appelé tihāī : la phrase répétée trois fois qui agit comme une cadence ryth­mique finale. Cette dernière peut être mod­élisée math­é­ma­tique­ment afin d’obtenir une for­mule arith­mé­tique dans laque­lle on peut pro­pos­er des phras­es ryth­miques, puis être appliquée soit à un qāi­da (un frag­ment de son thème ou l’une de ses vari­a­tions), soit à des com­po­si­tions fix­es comme par exem­ple le ṭukṛā.

Est-ce que cer­taines phras­es ryth­miques générées par l’ordinateur et validées par Afaq Hussain ont inté­gré le réper­toire du gharānā de Lucknow ?

C’est une ques­tion dif­fi­cile. Lorsque nous étions au milieu d’une péri­ode inten­sive d’ex­péri­men­ta­tion avec le « Bol Processor », une sorte de dia­logue se met­tait en bran­le où Afaq Hussain alter­nait des phras­es ryth­miques générées par ordi­na­teur avec des ensem­bles de vari­a­tions qui lui étaient pro­pres. Tant de com­po­si­tions ont été générées et alternées de cette manière qu’il était sou­vent dif­fi­cile de savoir si le réper­toire qu’il jouait en con­cert prove­nait de l’or­di­na­teur ou pas. Pourtant, alors que cer­tains enseignants et inter­prètes dévelop­pent un réper­toire de vari­a­tions fix­es provenant d’un thème, Afaq Hussain lui l’a rarement fait, s’ap­puyant plutôt sur son imag­i­na­tion « dans l’in­stant ». C’est aus­si l’ap­proche qu’il a encour­agée en nous. Par con­séquent, je doute que le matériel généré par ordi­na­teur soit devenu une par­tie per­ma­nente du répertoire.

Est-ce que ce type d’approche spé­ci­fique util­isant l’IA en eth­no­mu­si­colo­gie a été pour­suivi par d’autres ?

Le terme « Intelligence Artificielle » a fait l’ob­jet d’un change­ment rad­i­cal dans les années 1980-1990 grâce au développe­ment de l’ap­proche « con­nex­ion­niste » (les neu­rones arti­fi­ciels) et de tech­niques d’ap­pren­tis­sage à par­tir d’ex­em­ples capa­bles de traiter une grande masse de don­nées. Avec le Bol Processor (BP) nous étions au stade de la mod­éli­sa­tion symbolique-numérique de déci­sions humaines représen­tées par des gram­maires formelles, ce qui exigeait une con­nais­sance appro­fondie, bien qu’in­tu­itive, des mécan­ismes de décision.

Pour cette rai­son, les approches symboliques-numériques n’ont pas été repris­es par d’autres équipes à ma con­nais­sance. Par con­tre, nous avions aus­si abor­dé l’ap­pren­tis­sage automa­tique (de gram­maires formelles) à l’aide du logi­ciel QAVAID écrit sous Prolog II. Nous avons ain­si mon­tré que la machine devait col­lecter des infor­ma­tions en dia­loguant avec le musi­cien pour effectuer une seg­men­ta­tion cor­recte des phras­es musi­cales et amorcer un tra­vail de général­i­sa­tion par inférence induc­tive. Mais ce tra­vail n’a pas été pour­suivi car les machines étaient trop lentes et nous ne dis­po­sions pas de cor­pus assez grands pour con­stru­ire un mod­èle cou­vrant une grande var­iété de mod­èles d’improvisation.

Il se peut que des chercheurs indi­ens fassent appel à de l’ap­pren­tis­sage à par­tir d’ex­em­ples – qu’on appelle aujour­d’hui « Intelligence Artificielle » – pour traiter de grandes mass­es de don­nées pro­duites par des per­cus­sion­nistes. Cette approche « big data » a le défaut de man­quer de pré­ci­sion dans un domaine où la pré­ci­sion est un mar­queur d’ex­per­tise musi­cale, et de ne pas pro­duire des algo­rithmes com­préhen­si­bles qui con­stitueraient une « gram­maire générale » de l’im­pro­vi­sa­tion sur un instru­ment de per­cus­sion. Notre ambi­tion ini­tiale était de con­tribuer à la con­struc­tion de cette gram­maire, mais nous avons seule­ment prou­vé, avec la tech­nolo­gie de l’époque, que ce serait réalisable.

Fig. 3 : Bhupal Ray Chowdhury (dis­ci­ple de Wajid Hussain et son fils Afaq Hussain) et J. Kippen en séance d’expérimentation avec le Bol Processor, Calcutta, 1984, pho­to de James Kippen

Dans les ver­sions ultérieures, ce logi­ciel a pu pro­cur­er égale­ment de la matière et des out­ils pour le tra­vail de com­po­si­tion en musique et en danse au-delà du con­texte indi­en. On fêtera en 2021 les 40 ans de ce logi­ciel avec une nou­velle ver­sion. Quels sont les artistes qui ont util­isé le logiciel ? 

Des com­po­si­tions ryth­miques pro­gram­mées sur BP2 et inter­prétées sur un syn­thé­tiseur Roland D50 ont été util­isées pour l’œu­vre choré­graphique CRONOS dirigée par Andréine Bel et pro­duite en 1994 au NCPA de Bombay. Voir par exem­ple https://bolprocessor.org/shapes-in-rhythm/.

A la fin des années 1990, le com­pos­i­teur néer­landais H. Visser a util­isé BP2 pour con­tribuer au développe­ment d’opéra­teurs per­me­t­tant la com­po­si­tion de musique sérielle. Voir par exem­ple https://bolprocessor.org/harm-vissers-examples/.

Nous avons eu des retours et deman­des d’u­ni­ver­si­taires européens et améri­cains qui utilisent BP2 comme out­il péd­a­gogique pour l’en­seigne­ment de la com­po­si­tion musi­cale. Mais nous n’avons jamais fait de cam­pagne « pub­lic­i­taire » à grande échelle pour agrandir la com­mu­nauté d’u­til­isa­teurs, étant intéressés en pri­or­ité par le développe­ment du sys­tème et la recherche musi­cologique qui lui est associée.

La prin­ci­pale lim­ite de BP2 était son fonc­tion­nement exclusif dans l’en­vi­ron­nement Mac. C’est pourquoi la ver­sion BP3 en cours de développe­ment est mul­ti­plate­forme. Elle sera vraisem­blable­ment mise en ser­vice en ver­sion « Cloud » ren­du pos­si­ble par son inter­ac­tion étroite avec le logi­ciel Csound. Ce logi­ciel per­met de pro­gram­mer des algo­rithmes per­for­mants de pro­duc­tion sonore et de tra­vailler avec des mod­èles d’in­to­na­tion micro­tonale que nous avons dévelop­pés, aus­si bien pour la musique har­monique que pour le raga indi­en – voir https://bolprocessor.org/category/related/musicology/.

Etudes de la notation, du mètre, du rythme et de leurs évolutions

Au fil de ton tra­vail, la ques­tion de la nota­tion musi­cale occupe une place impor­tante autant sur le plan de la méthodolo­gie que sur celui de la réflex­ion à pro­pos de son usage. Tu as mis en place ton pro­pre sys­tème afin de représen­ter le plus rigoureuse­ment pos­si­ble tes analy­ses des com­po­si­tions de tablā et de pakhā­vaj. Peux-tu nous par­ler de cet aspect de ton travail ? 

Toutes les nota­tions écrites sont des approx­i­ma­tions incom­plètes et leur con­tri­bu­tion au proces­sus de trans­mis­sion est lim­ité. Les représen­ta­tions orales, comme les suites de syl­labes énon­cées (bols) représen­tant des frappes de per­cus­sion, trans­met­tent sou­vent des infor­ma­tions plus pré­cis­es sur la musi­cal­ité inhérente aux mod­èles, tels que l’accentuation, l’in­flex­ion, le phrasé et la vari­abil­ité micro-rythmique. De même, une fois intéri­or­isées, ces syl­labes sont indélé­biles. Nous savons que les sys­tèmes oraux favorisent une bonne mémoire musi­cale, ce qui est par­ti­c­ulière­ment impor­tant dans le con­texte de la per­for­mance musi­cale en Inde où les inter­prètes ne com­men­cent qu’avec une feuille de route très générale, mais pren­nent ensuite toutes sortes de détours inat­ten­dus. Dans cette per­spec­tive, on pour­rait se deman­der pourquoi écrire quoi que ce soit ?

À par­tir des années 1860, il y a eu un essor des nota­tions musi­cales en Inde, inspiré il me sem­ble par la prise de con­science que la musique occi­den­tale pos­sé­dait un sys­tème de nota­tion effi­cace, et sus­cité aus­si par l’aug­men­ta­tion con­stante de l’ap­pren­tis­sage insti­tu­tion­nal­isé et d’un besoin appar­ent de textes péd­a­gogiques et de réper­toires. Pourtant, il n’y a jamais eu de con­sen­sus sur la façon de not­er, et chaque nou­veau sys­tème dif­férait grande­ment des autres. La nota­tion conçue en 1903 par Gurudev Patwardhan était sans doute la plus détail­lée et la plus pré­cise jamais créée pour les per­cus­sions comme le tablā et le pakhā­vaj, mais elle était sûre­ment trop com­pliquée pour que les étu­di­ants la lisent comme une par­ti­tion. Son objec­tif pre­mier était donc davan­tage d’être un ouvrage de référence qui préser­vait le réper­toire et four­nis­sait un pro­gramme pour un appren­tis­sage structuré.

Nous vivons dans un monde de l’écrit et les musi­ciens recon­nais­sent que leurs élèves ne con­sacrent plus leurs journées entières à la pra­tique. Comme d’autres pro­fesseurs, Afaq Hussain nous a tous encour­agés à écrire le réper­toire qu’il enseignait pour qu’il ne soit pas oublié. Pour moi, il était par­ti­c­ulière­ment impor­tant de saisir deux aspects dans mes pro­pres cahiers : la pré­ci­sion ryth­mique et les doigtés pré­cis. En ce qui con­cerne ce dernier, par exem­ple, face à la phrase keṛe­na­ga tirak­iṭa takata­ka tirak­iṭa, je m’assurais de not­er cor­recte­ment le doigté pré­cis dans la douzaine de tech­niques pos­si­bles pour takata­ka, sans par­ler des var­iétés de keṛe­na­ga, et j’indiquais égale­ment que les deux ver­sions de tirak­iṭa avaient été jouées légère­ment différemment.

Afaq Hussain a gardé ses pro­pres cahiers rangés en toute sécu­rité dans une armoire ver­rouil­lée. Il les con­sul­tait par­fois. Je pense qu’il avait con­science du fait que le réper­toire dis­parais­sait effec­tive­ment avec la tra­di­tion orale. Après tout, il y a des cen­taines, voire des mil­liers de morceaux de musique. Son grand-père, Abid Hussain (1867-1936) fut le pre­mier pro­fesseur de tablā au Bhatkhande Music College de Lucknow. Lui aus­si a noté des com­po­si­tions de tablā, et j’ai en ma pos­ses­sion des cen­taines de pages qu’il a écrites sans aucun doute pour être pub­liées sous forme de texte péd­a­gogique. Cependant, il n’a pas indiqué de rythmes ou de doigtés pré­cis, et l’in­ter­pré­ta­tion de sa musique est donc prob­lé­ma­tique, même pour le fils d’Afaq Hussain, Ilmas Hussain, avec qui j’ai passé tout son réper­toire au peigne fin. Une nota­tion pré­cise a donc de la valeur, si elle est accom­pa­g­née d’une tra­di­tion orale qui peut ajouter toutes les infor­ma­tions néces­saires pour don­ner vie à la musique.

Avec tes recherch­es récentes sur de nom­breux textes indo-persans des XVIIIe et XIXe siè­cles, tu mets en évi­dence l’évolution de la représen­ta­tion de la métrique en Inde. Ces recherch­es illus­trent l’importance de l’approche his­torique et met­tent en évi­dence pleine­ment les mécan­ismes d’évolution des faits cul­turels. Quels sont les con­cepts que tu utilis­es pour décrire ces phénomènes ?

Une facette impor­tante de notre for­ma­tion anthro­pologique était d’ap­pren­dre à fonc­tion­ner dans la langue de ceux avec qui nous nous sommes engagés dans nos recherch­es, non seule­ment pour gér­er la vie au quo­ti­di­en, mais aus­si pour avoir accès à des con­cepts qui sont sig­ni­fi­cat­ifs dans la cul­ture étudiée. Deux ter­mes sont impor­tants à cet égard, l’un dont l’im­por­tance est à mon avis exagérée, l’autre sous-estimée. Premièrement, gharānā, qui depuis sa pre­mière appari­tion dans les années 1860 sig­nifi­ait « famille » mais qui, au fil du temps, en est venu à englober toute per­son­ne qui croit partager cer­tains élé­ments de tech­nique, de style ou de réper­toire avec une per­son­ne dom­i­nante du passé. Deuxièmement, sil­si­la, un terme com­mun dans le soufisme qui sig­ni­fie « chaîne, con­nex­ion ou suc­ces­sion », et qui a une per­ti­nence spé­ci­fique dans le cas de l’enseignement dans une lignée de musi­ciens. C’est cette sil­si­la plus pré­cise qui détient, selon moi, la clé de la trans­mis­sion de la cul­ture musi­cale, et pour­tant le para­doxe est que la chaîne porte en elle une direc­tive implicite pour explor­er l’individualité créa­trice. C’est pourquoi, par exem­ple, lorsque l’on exam­ine la lignée des joueurs de tablā de Delhi à par­tir du milieu du XIXe siè­cle, on con­state des dif­férences majeures de tech­nique, de style et de réper­toire d’une généra­tion à l’autre. Il en va de même pour mon pro­fesseur Afaq Hussain, dont le jeu dif­férait grande­ment de celui de son père et enseignant Wajid Hussain. Chaque indi­vidu hérite d’une cer­taine essence musi­cale dans la sil­si­la, bien sûr, mais il doit s’en­gager et opér­er dans un monde en con­stante évo­lu­tion où la survie artis­tique néces­site une adap­ta­tion. Il est donc d’une impor­tance vitale lors de l’é­tude de toute époque musi­cale de recueil­lir autant d’in­for­ma­tions que pos­si­ble sur le milieu socio­cul­turel observé.

Comme je viens de le démon­tr­er, il est impératif de s’en­gager avec des con­cepts de la cul­ture, de les expli­quer et de les utilis­er sans recourir à la tra­duc­tion. Un autre excel­lent exem­ple est celui du terme tāla, qui est le plus sou­vent traduit par mètre ou cycle métrique. Et pour­tant, il y a une dif­férence fon­da­men­tale entre les deux. Le mètre est implicite : c’est un motif qui est dérivé des rythmes de sur­face d’une pièce, et se com­pose d’une impul­sion sous-jacente qui est organ­isée en une séquence hiérar­chique récur­rente de bat­te­ments forts et faibles. Mais, par con­traste, tāla est explicite : c’est un motif récur­rent de bat­te­ments non hiérar­chiques se man­i­fes­tant par des gestes de la main con­sis­tant en des claps, des mou­ve­ments silen­cieux de la main et des comptes sur les doigts, ou comme une séquence rel­a­tive­ment fixe de frappes de per­cus­sion. Utiliser le terme « mètre » dans le con­texte indi­en est donc trompeur, et j’en­cour­age donc l’u­til­i­sa­tion de terme tāla avec une expli­ca­tion mais sans traduction.

Tu tra­vailles actuelle­ment sur un ouvrage con­cer­nant les sources du XVIIIe et XIXe siè­cles, quel est ton objectif ?

Mon objec­tif est de retrac­er les orig­ines et l’évo­lu­tion du sys­tème du tāla actuelle­ment util­isé dans la musique hin­dous­tanie en rassem­blant autant d’in­for­ma­tions que pos­si­ble à par­tir de sources con­tem­po­raines de la fin du XVIIe siè­cle jusqu’au début du XXe siè­cle et de l’ère de l’enregistrement. Le prob­lème est que les infor­ma­tions disponibles sont frag­men­taires et sou­vent rédigées dans un lan­gage obscur : la tâche s’ap­par­ente à un puz­zle où la plu­part des pièces man­quent. De plus, les sources que l’on trou­ve ne sont pas néces­saire­ment directe­ment con­nec­tées, et donc j’ai plutôt l’impression de tra­vailler avec deux ou plusieurs puz­zles à la fois. En bref, après une analyse minu­tieuse, des déduc­tions et des hypothès­es, je pense qu’il y a eu une con­ver­gence des sys­tèmes ryth­miques au XVIIIe siè­cle qui a don­né nais­sance au sys­tème du tāla d’aujourd’hui.

 Les pra­tiques musi­cales et les con­textes soci­aux des divers­es com­mu­nautés (les Kalāwant qui chan­taient le dhru­pad, les Qawwāl qui chan­taient le khayāl, le tarā­na et le qaul, ain­si que la com­mu­nauté des Ḍhāḍhī qui accom­pa­g­naient tous ces gen­res musi­caux), doivent impéra­tive­ment être pris en compte pour com­pren­dre com­ment et pourquoi la musique et le rythme en par­ti­c­uli­er, ont évolués comme ils l’ont fait. Pourtant, il y a tant d’autres aspects impor­tants dans cette his­toire : le rôle des femmes instru­men­tistes dans les espaces privés de la vie mog­hole au XVIIIe siè­cle, et leur dis­pari­tion pro­gres­sive au XIXe siè­cle, le colo­nial­isme, le statut et l’in­flu­ence des textes anciens, les tech­niques d’im­pres­sion et la dif­fu­sion de nou­veaux textes péd­a­gogiques à la fin du XIXe siè­cle, pour n’en citer que quelques-uns.

Quelles sont les sources intéres­santes à con­sid­ér­er pour com­pren­dre l’évolution des pra­tiques et des représen­ta­tions ryth­miques de la musique hindoustanie ?

Le nord de l’Inde a tou­jours été ouvert aux échanges cul­turels, et cela était par­ti­c­ulière­ment le cas sous les Moghols. Il est impératif de com­pren­dre qui se rendait dans ces cours, d’où ils venaient et ce qu’ils jouaient. Il est tout aus­si impor­tant de com­pren­dre les doc­u­ments écrits disponibles ain­si que les dis­cours intel­lectuels de l’époque, car la con­nais­sance de la musique était cru­ciale pour l’é­ti­quette mog­hole. Ainsi, quand on sait que le traité de musique très influ­ent Kitāb al-adwār, du théoricien du XIIIe siè­cle Safi al-Din al-Urmawi al-Baghdadi, était large­ment disponible en Inde en arabe et en tra­duc­tion per­sane, et que des exem­plaires se trou­vaient dans la col­lec­tion des nobles de Delhi à par­tir du XVIIe siè­cle, on com­prend mieux pourquoi le rythme indi­en était expliqué en util­isant les principes de la prosodie arabe à la fin du XVIIIe siè­cle. Mon argu­ment est que la prosodie arabe, appliquée à la musique, était un out­il plus puis­sant que les méth­odes tra­di­tion­nelles de prosodie san­skrite, et qu’elle était donc plus effi­cace pour décrire les change­ments qui se pro­dui­saient dans la pen­sée et la pra­tique ryth­mique à cette époque.

Ces recherch­es ethno-historiques bous­cu­lent par­fois les croy­ances de cer­tains musi­ciens et chercheurs, notam­ment sur les ques­tions d’ancienneté et d’« authen­tic­ité » des tra­di­tions. Penses-tu que les musi­ciens d’aujourd’hui sont davan­tage enclins à accepter les évi­dences de la nature com­plexe des tra­di­tions musi­cales, for­mées de mul­ti­ples apports et en per­pétuelles transformations ?

Certains le sont, mais cer­tains ne le sont pas. Il y a tou­jours eu un petit nom­bre de chercheurs en Inde qui menaient des recherch­es pré­cieuses et factuelles sur la musique. Pourtant, je suis déçu de con­stater qu’il y en a beau­coup d’autres qui reposent sur le rabâchage et la dif­fu­sion d’opin­ions non fondées et non savantes. Ce qui me sur­prend peut-être le plus, c’est le manque de for­ma­tion sci­en­tifique rigoureuse dans les uni­ver­sités de musique en Inde et la per­sis­tance d’idées et d’in­for­ma­tions réfutées ou dis­créditées en dépit de tant d’ex­cel­lentes recherch­es pub­liées indi­quant le contraire.

Fig. 4 : J. Kippen, 2017, Université de Toronto. Photo de James Kippen

Depuis les années 1990, on con­state le ren­force­ment d’un nation­al­isme hin­dou au sein de la société indi­enne. Notes-tu un impact par­ti­c­uli­er sur le monde de la musique hin­dous­tanie et sur celui de la recherche ?

Il s’agit là d’un sujet com­plexe et sen­si­ble. Le nation­al­isme hin­dou n’est pas nou­veau, loin de là, et comme je l’ai démon­tré dans mon livre sur Gurudev Patwardhan, il a con­sti­tué une par­tie impor­tante de la rai­son d’être de la vie et de l’œu­vre de Vishnu Digambar Paluskar au début du XXe siè­cle. Comme de nom­breux chercheurs l’ont souligné, ce nation­al­isme avait ses racines dans le colo­nial­isme et s’est dévelop­pé en tant que mou­ve­ment anti­colo­nial axé sur la poli­tique iden­ti­taire hin­doue. Ce réc­it, basé sur des notions inven­tées d’un passé hin­dou glo­rieux, a min­imisé les con­tri­bu­tions de la cul­ture mog­hole et des grandes lignées de musi­ciens musul­mans (sans par­ler des femmes). Depuis ce temps, l’i­den­tité musul­mane indi­enne dans le domaine de la musique a con­nu un cer­tain déclin. Les chercheurs ont pris note de cette chute et ont ten­té de retrac­er cer­tains des contre-récits qui ont jusqu’à présent été ignorés, comme l’ex­cel­lent livre de Max Katz Lineage of Loss (Wesleyan University Press, 2017) sur une grande famille de musiciens-savants musul­mans, nom­mée Shahjahanpur-Lucknow gharānā. Je pense que dans de nom­breuses études actuelles qui por­tent sur la musique en Inde se trou­ve une forte moti­va­tion de ne pas omet­tre ces réc­its cul­turels impor­tants, de les réanimer et de les replac­er dans le grand réc­it de l’his­toire de l’Asie du Sud.

A la suite de R. Stewart, tu as mis en évi­dence l’intrication com­plexe des approches ryth­miques et métriques dans le jeu des joueurs de tablā en mon­trant qu’il résulte de divers apports cul­turels qui se sont suc­cédés dans le temps. Avec l’intensification des échanges cul­turels mon­di­aux depuis la fin du XXe siè­cle, as-tu observé une ou des ten­dances évo­lu­tives dans le jeu des joueurs de tablā ?

Depuis l’in­clu­sion du tablā dans la musique pop des années 1960, l’exaltante fusion jazz du groupe Shakti de John McLaughlin dans les années 1970 et l’om­niprésence aujourd’hui du tablā dans la musique sous toutes ses formes, il sem­ble tout naturel que les joueurs de tablā du monde entier aient envie d’explorer et d’expérimenter ses sons mag­iques. Zakir Hussain a mon­tré la voie en démon­trant la flex­i­bil­ité et l’adapt­abil­ité de cet instru­ment, ain­si que la véloc­ité vis­cérale et pal­pi­tante de ses motifs rythmiques.

Quant au tablā, dans le con­texte de la musique de con­cert hin­dous­tanie, j’ai remar­qué que nom­breux sont ceux qui ten­tent d’in­jecter ce même sen­ti­ment d’ex­al­ta­tion, ren­for­cé de plus en plus, semble-t-il, par une ampli­fi­ca­tion si forte qu’elle déforme le son et heurte les tym­pa­ns du pub­lic jusqu’à la soumis­sion.  J’irais jusqu’à dire que c’est mal­heureuse­ment devenu la norme. À cet égard, je me con­sid­ère comme une sorte de puriste qui aspire à un retour à une pra­tique où le joueur de tablā main­tient un rôle sub­til, dis­cret mais de sou­tien, et com­plète la ligne du soliste, en restant mod­este et sans domin­er la scène lorsqu’il est invité à faire une petite appari­tion ou un court solo. De la même manière, je désire un retour aux soli de tablā qui regor­gent de con­tenu plutôt que d’« effets sonores ». Par « con­tenu », j’en­tends des com­po­si­tions tra­di­tion­nelles de car­ac­tère, dotées de tech­niques spé­cial­isées, dont les com­pos­i­teurs sont nom­més et ain­si hon­orés. Et pour­tant, il est douloureuse­ment évi­dent qu’un tel « con­tenu » n’at­teint pas beau­coup de jeunes joueurs de nos jours.

Ethnomusicologie

Comme évo­qué, tes recherch­es met­tent en avant l’importance des sources his­toriques aus­si bien que la prise en compte des phénomènes plus large comme l’orientalisme ou le nation­al­isme pour com­pren­dre le présent des pra­tiques musi­cales indi­ennes. En même temps tu es très atten­tif aux intens­es phénomènes tran­scul­turels actuels et à la néces­sité de les appréhen­der. Dans la pro­fes­sion, le con­cept d’« eth­no­mu­si­colo­gie » ne fait pas tou­jours con­sen­sus. Quelle est ta posi­tion par rap­port à cette appel­la­tion et à l’objet de cette dis­ci­pline en ce début du XXIe siècle ?

Je n’ai jamais été par­ti­c­ulière­ment à l’aise avec l’é­ti­quette d’« eth­no­mu­si­colo­gie ». Comme dis­ait J. Blacking, toute musique est de la « musique eth­nique », et par con­séquent, il ne devrait pas y avoir de dis­tinc­tion entre les études sur le tablā, le game­lan, le hip-hop et celles sur Bach, Beethoven ou Brahms. Nous nous enga­geons tous dans un « dis­cours sur la musique », une « musi­colo­gie ». L’avantage de ter­mes comme « anthro­polo­gie » ou « soci­olo­gie » de la musique est qu’ils impliquent une gamme plus large d’ap­proches théoriques et méthodologiques qui nous rap­pel­lent que la musique est un fait social. Pourtant, nous devons recon­naître que le champ des études eth­no­mu­si­cologiques a évolué et que, de nos jours, une atten­tion bien plus grande est accordée à des phénomènes comme le bruit ou les sons de la vie quo­ti­di­enne. Par con­séquent (sans vouloir paraître trop cynique) bien que dans cer­tains milieux les « sound stud­ies » soient traitées avec un cer­tain mépris, ce terme très général est peut-être la déf­i­ni­tion la plus hon­nête et la plus pré­cise de ce que nous (nous tous) faisons. Je recon­nais toute­fois qu’il serait dom­mage de rejeter com­plète­ment le terme « musique », et donc j’aime con­cevoir l’eth­no­mu­si­colo­gie, la musi­colo­gie et la théorie musi­cale se réu­nis­sant sous la rubrique « musique et sound stud­ies ».

Enseignement

Après une courte péri­ode à Belfast, tu as enseigné à Toronto, peux tu nous par­ler de ton expéri­ence d’enseignement ?

Toronto est une ville mer­veilleuse et, selon la plu­part des témoignages, c’est la ville la plus mul­ti­cul­turelle de la planète. Elle offre un envi­ron­nement musi­cal très riche et stimulant.

Miecyzslaw Kolinski a enseigné à l’Université de Toronto de 1966 à 1978. Ses intérêts eth­no­mu­si­cologiques ont été façon­nés par sa for­ma­tion auprès de Hornbostel et Sachs, et par la vision d’un monde, partagée par tant de géants de notre dis­ci­pline. Ses pub­li­ca­tions por­tent sur les bases sci­en­tifiques de l’har­monie et de la mélodie et il a dévelop­pé des méth­odes d’analyse inter­cul­turelle. Son approche a été caté­gorique­ment rejetée dans ma pro­pre for­ma­tion avec John Blacking qui a tou­jours défendu avec véhé­mence le rel­a­tivisme cul­turel, tout comme cela était en con­tra­dic­tion avec la for­ma­tion de Tim Rice à l’Université de Washington. Tim a été embauché en 1974 et est par­ti pour l’UCLA en 1987. Comme moi à mes débuts, Tim a eu du mal à con­va­in­cre ses col­lègues de l’im­por­tance de l’ap­proche eth­no­mu­si­cologique et de la néces­sité de traiter notre dis­ci­pline avec le respect qu’elle mérite et les ressources qu’elle néces­site. Nous avons tous les deux beau­coup lut­té. Tim a créé un pro­gramme qui est devenu con­nu sous ma direc­tion sous le nom « The World Music Ensembles », et pour ma part j’ai acquis un game­lan bali­nais en 1993, aidé par mon épouse, l’eth­no­mu­si­co­logue Annette Sanger, anci­enne col­lègue de J. Blacking. De plus, Tim et moi avons réus­si à inté­gr­er davan­tage les cours d’eth­no­mu­si­colo­gie au cœur du pro­gramme pour nous assur­er que tous les étu­di­ants en musique, quels que soient leurs intérêts, soient exposés à notre approche et com­pren­nent la valeur et l’im­por­tance d’une vision sociale­ment fondée de toute musique. J’ai créé un cours d’in­tro­duc­tion d’un an inti­t­ulé Music as Culture que j’ai co-enseigné pen­dant quelques années avec un col­lègue de musi­colo­gie : nous avons alterné nos cours, illus­trant et croisant notre cor­pus et nos obser­va­tions sur nos canons occi­den­taux et le vaste monde de la musique au-delà. Mon cours Introduction to Music & Society est devenu emblé­ma­tique. Mon approche étant essen­tielle­ment mod­u­laire, les thèmes choi­sis ont changé et se sont adap­tés au fil du temps pour refléter des préoc­cu­pa­tions plus con­tem­po­raines, notam­ment la musique et l’i­den­tité, l’ex­péri­ence religieuse, la migra­tion, le genre, la guéri­son et les sound stud­ies.

Dans mes fonc­tions d’enseignant, j’ai conçu et enseigné une var­iété de cours : Hindustani music, Music & Islam, Theory & Method in Ethnomusicology, The Beatles, Anthropology of Music, Fieldwork, Music, Colonialism & Postcolonialism, Rhythm & Metre in Cross-Cultural Perspective, Transcription, Notation & Analysis, etc. J’ai tra­vail­lé avec la com­mu­nauté sud-asiatique de Toronto pour organ­is­er des con­certs du chanteur Pandit Jasraj. Ils ont attiré des spon­sors générant des bours­es d’é­tudes fiables pour des étu­di­ants dont les recherch­es por­taient sur la musique hin­dous­tanie. J’ai aidé à met­tre en place un pro­gramme d’artiste en rési­dence, invi­tant des musi­ciens du monde entier à pass­er un trimestre avec nous à enseign­er et à jouer. J’ai con­tribué à la refonte de nos pro­grammes d’é­tudes supérieures axés sur la musi­colo­gie et j’ai intro­duit dans le pro­gramme d’étude une maîtrise et un doc­tor­at en eth­no­mu­si­colo­gie. Mais les deux réal­i­sa­tions dont je suis sans doute le plus fier sont pre­mière­ment les nom­breux et mer­veilleux doc­tor­ants que j’ai encadrés, dont beau­coup ont eux-mêmes pour­suivi une car­rière dans le milieu uni­ver­si­taire, et deux­ième­ment le suc­cès de mon ini­tia­tive d’élargissement de notre représen­ta­tion : nous sommes passés d’un seul poste de pro­fesseur à qua­tre tit­u­laires à plein-temps en ethnomusicologie.

Quelle est ta place au sein du gharānā de Lucknow ?

J’ai beau­coup appré­cié appren­dre et jouer du tablā dans ma vie et je me con­sid­ère extrême­ment chanceux d’avoir eu un lien aus­si étroit et pro­duc­tif avec l’un des joueurs de tablā les plus remar­quables de l’his­toire : Afaq Hussain. J’ai la chance d’avoir une bonne mémoire et j’ai donc encore dans ma tête un vaste réper­toire de com­po­si­tions mer­veilleuses remon­tant aux pre­miers mem­bres de la lignée Lucknow qui ont prospéré à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siè­cle. Je suis par­ti­c­ulière­ment intéressé par la tech­nique et j’ai passé beau­coup de temps à étudi­er les mécan­ismes du jeu. Cependant, je suis avant tout un éru­dit et, en pra­tique, je ne me fais aucune illu­sion d’être guère plus qu’un ama­teur. En effet, mon intérêt pour le jeu m’a fourni des aperçus extra­or­di­naires de l’in­stru­ment et de son histoire.

Quant à ma place ou mon rôle au sein du gharānā de Lucknow, je dirais deux choses. Tout d’abord, je con­tin­ue à faire par­tie de l’échange d’idées et de réper­toire avec mes pairs aux côtés desquels j’ai étudié le tablā et qui font par­tie main­tenant, comme moi, des grandes fig­ures de la sil­si­la, la lignée directe de l’enseignement d’Afaq Hussain. Ils me con­sid­èrent comme un pro­fes­sion­nel avisé,  une autorité dans mon domaine. Parfois, on me demande si je me sou­viens d’une com­po­si­tion rare sur laque­lle il y a eu débat, et par­fois j’in­tro­duis dans notre dia­logue des infor­ma­tions et des ques­tions issues de mes recherch­es qui sus­ci­tent un vif intérêt. Par exem­ple, le fils d’Afaq Hussain, Ilmas Hussain, et moi-même avons tra­vail­lé ensem­ble pour ressus­citer les cahiers de son arrière-grand-père Abid Hussain et les plac­er dans leur con­texte, non seule­ment celui de leur tra­di­tion mais aus­si celui de la fin des années 1920 et du début des années 1930, années durant lesquelles Abid Hussain incar­nait le tout pre­mier pro­fesseur de tablā au Bhatkhande College de Lucknow. Enfin, je pense que mes travaux ont su attir­er une plus grande atten­tion sur la lignée de Lucknow. Quand je suis arrivé à la porte d’Afaq Hussain en jan­vi­er 1981, il était affaib­li – psy­chologique­ment et finan­cière­ment – et son avenir était incer­tain. D’autres étu­di­ants étrangers ont suivi mon exem­ple et ont rejoint un nom­bre tou­jours crois­sant de dis­ci­ples indi­ens venus pour appren­dre. Mon livre, The Tabla of Lucknow, ain­si que d’autres facettes de mes recherch­es ont donc bien con­tribué à attir­er l’at­ten­tion nationale et inter­na­tionale sur Afaq Hussain, son fils Ilmas et toute leur tradition.

Liste des publications

Ouvrages         

2006                   Gurudev’s Drumming Legacy : Music, Theory and Nationalism in the Mrdang aur Tabla Vadanpaddhati of Gurudev Patwardhan. Aldershot : Ashgate (SOAS Musicology Series).

2005                   The Tabla of Lucknow : A Cultural Analysis of a Musical Tradition. New Delhi : Manohar (Nouvelle édi­tion avec nou­velle préface).

1988                   The Tabla of Lucknow : A Cultural Analysis of a Musical Tradition. Cambridge : Cambridge University Press (Cambridge Studies in Ethnomusicology).

Direction d’ouvrage          

2013                   avec Frank Kouwenhoven, Music, Dance and the Art of Seduction. Delft : Eburon Academic Publishers.

Direction de revue

1994-1996        Bansuri (A year­ly jour­nal devot­ed to the music and dance of India, pub­lished by Raga Mala Performing Arts of Canada). Volume 13, 1996 (60 pp), vol­ume 12, 1995 (60 pp), vol­ume 11, 1994 (64 pp).

Articles, chapitres d’ouvrages

À paraître           « Weighing ‘The Assets of Pleasure’: Interpreting the Theory and Practice of Rhythm and Drumming in the Sarmāya-i ‘Ishrat, a Pivotal 19th Century Text. », in Katherine Schofield, dir. : Hindustani Music Between Empires : Alternative Histories, 1748-1887. Éditeur à préciser.

À paraître           « An Extremely Nice, Fine and Unique Drum : A Reading of Late Mughal and Early Colonial Texts and Images on Hindustani Rhythm and Drumming. », in Katherine Schofield, Julia Byl et David Lunn, dir. : Paracolonial Soundworlds : Music and Colonial Transitions in South and Southeast Asia. Éditeur à préciser.

2021                   « Ethnomusicology at the Faculty of Music, University of Toronto. » MUSICultures (Journal of the Canadian Society for Traditional Music). Vol. 48.

2020                   « Rhythmic Thought and Practice in the Indian Subcontinent. » in Russell Hartenberger & Ryan McClelland, dir. : The Cambridge Companion to Rhythm. Cambridge University Press : 241-60.

2019                   « Mapping a Rhythmic Revolution Through Eighteenth and Nineteenth Century Sources on Rhythm and Drumming in North India. » In Wolf, Richard K., Stephen Blum, & Christopher Hasty, dir. : Thought and Play in Musical Rhythm: Asian, African, and Euro-American Perspectives. Oxford University Press : 253-72.

2013                   « Introduction. » In Frank Kouwenhoven & James Kippen, dir. : Music, Dance and the Art of Seduction. Delft : Eburon Academic Publishers : i-xix.

2012                   « On the con­tri­bu­tions of Pt. Sudhir V. Mainkar to our under­stand­ing of the tabla.” Souvenir Volume in Honour of Sudhir Vishnu Mainkar. Sharda Sangeet Vidyalaya : Mumbai.

2010                   « The History of Tabla. » In Joep Bor, Françoise ‘Nalini’ Delvoye, Jane Harvey and Emmie te Nijenhuis, dir. : Hindustani Music, Thirteenth to Twentieth Centuries. New Delhi : Manohar : 459-78.

2008                   « Working with the Masters. » In Gregory Barz and Timothy Cooley, dir. : Shadows in the Field : New Perspectives for Fieldwork in Ethnomusicology (2nd Edition révisée). Oxford University Press : 125–40.

2008                   « Hindustani Tala : An Introduction. » Concise Garland Encyclopedia of World Music. New York : Garland [ver­sion con­den­sée de la pub­li­ca­tion de 2000].

 2007                  « The Tal Paddhati of 1888 : An Early Source for Tabla. » Journal of the Indian MusicologicalSociety, 38 : 151–239.

2005                   « Lucknow » Encyclopedia of Popular Music of the World, Part 2, Vol. 5, Locations: Asia & Oceania. London : Continuum : 109–110.

2003                   « Le rythme: Vitalité de l’Inde. » In Gloire des princes, louange des dieux: Patrimoine musi­cal de l’Hindoustan du XIVe au XXe siè­cle. Paris : Cité de la musique et Réunion des Musées Nationaux 2003 :152–73.

2002                   « Wajid Revisited : A Reassessment of Robert Gottlieb’s Tabla Study, and a new Transcription of the Solo of Wajid Hussain Khan of Lucknow. » Asian Music, 33, 2 : 111–74.

2001                   « Asian Music [in Ontario]. » Garland Encyclopedia of World Music, Volume 3, The United States and Canada. New York : Garland Publishing : 1215–17.

2001                   « Folk Grooves and Tabla Tals. » ECHO: a music-centered jour­nal.  III: 1 (Spring 2001). En Ligne http://www.echo.ucla.edu/article-folk-grooves-and-tabla-tal-s-by-james-kippen/

2000                   « Hindustani Tala. » Garland Encyclopedia of World Music, Volume 5, South Asia: The Indian Subcontinent. New York : Garland Publishing : 110–37.

1998                   « What’s Wrong With Hindustani Music ? » Sruti (Madras), no.160 (réédi­tion de l’article parut dans Kala, 1996).

1998                   « Musings on Dhrupad, and an Interview with Falguni Mitra. » Kala, Volume 2, no.1 : 4.

1997                   « The Musical Evolution of Lucknow. » In Violette Graff, dir., Lucknow : Memories of a City. New Delhi : Oxford University Press : 181–95.

1996                   « A la recherche du temps musi­cal. » Temporalistes, 34 : 11-22 En ligne : http://temporalistes.socioroom.org/spip.php?article228

1996                   avec Andréine Bel « Lucknow Kathak Dance. » Bansuri (Journal of the Raga Mala Performing Arts of Canada), 13 : 42–50.

1996                   « What’s Wrong With Hindustani Music? » Kala, Volume 1, no.2, 1996 : 4–7.

1995                   Réponse à « Theory of Participatory Discrepancies » de Charles Keil Ethnomusicology, 39, 1 : 77–78.

1994                   « Computers, Composition, and the Challenge of ‘New Music’ in Modern India. » Leonardo Music Journal, 4 : 79–84.
https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00143124

1992                   « Tabla Drumming and the Human-Computer Interaction. » The World of Music, 34, 3 : 72–98.

1992                   « Music and the Computer : Some Anthropological Considerations. » Interface, 21, 3-4 : 257–62.

1992                   « Where Does The End Begin ? Problems in Musico-Cognitive Modelling. » Minds & Machines, 2, 4 : 329–44.

1992                   « Identifying Improvisation Schemata with QAVAID. » In Walter B. Hewlett & Eleanor Selfridge-Field, dir. : Computing in Musicology : An International Directory of Applications, Volume 8. Center for Computer Assisted Research in the Humanities :115–19.

1992                   « Bol Processor Grammars. » In M. Balaban, K. Ebcioglu, & O. Laske, dir. : Understanding AI with Music, AAAI Press : 367–400.
https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00256386

1992                   avec Bernard Bel « Modelling Music with Grammars : Formal Language Representation in the Bol Processor. » In A. Marsden & A. Pople, dir. : Computer Representations and Models in Music. London, Academic Press : 207–38.
https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00004506

1991                   avec Bernard Bel  « From Word-Processing to Automatic Knowledge Acquisition : A Pragmatic Application for Computers in Experimental Ethnomusicology. » in Ian Lancashire, dir. : Research in Humanities Computing I : Papers from the 1989 ACH-ALLC Conference, Oxford University Press : 238–53.

1991                   « Changes in the Social Status of Tabla Players. » Bansuri, 8 : 16–27, 1991. (réédi­tion de la pub­li­ca­tion de JIMS, 1989)

1990                   « Music and the Computer: Some Anthropological Considerations. » In B. Vecchione & B. Bel, dir. : Le Fait Musical — Sciences, Technologies, Pratiques, pré­fig­u­ra­tion des actes du col­loque Musique et Assistance Informatique, CRSM-MIM, Marseille, France, 3-6 Octobre : 41–50.

1989                   « Changes in the Social Status of Tabla Players. » Journal of the Indian Musicological Society, 20, 1 & 2 : 37–46.

1989                   « Can a Computer Help Resolve the Problem of Ethnographic Description? » Anthropological Quarterly, 62, 3 : 131–44.
https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00275429

1989                   Avec Bernard Bel « The Identification and Modelling of a Percussion ‘Language’, and the Emergence of Musical Concepts in a Machine-Learning Experimental Set-Up. » Computers and the Humanities, 23, 3 : 199–214.
https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00004505

1989                   « Computers, Fieldwork, and the Analysis of Cultural Systems. » Bulletin of Information on Computing and Anthropology, 7, 1989 : 1–7. En ligne : http://lucy.ukc.ac.uk/bicaweb/b7/kippen.html

1988                   « Computers, Fieldwork, and the Problem of Ethnomusicological Analysis. » International Council for Traditional Music (UK Chapter) Bulletin, 20 : 20–35.

1988                   Avec Bernard Bel « Un mod­èle d’inférence gram­mat­i­cale appliquée à l’apprentissage à par­tir d’exemples musi­caux. » Neurosciences et Sciences de l’Ingénieur, 4e Journées CIRM, Luminy, 3–6 Mai 1988. 

1988                   « On the Uses of Computers in Anthropological Research. » Current Anthropology, 29, 2 : 317–20.

1987                   « An Ethnomusicological Approach to the Analysis of Musical Cognition. » Music Perception 5, 2 : 173–95.

1987                   Avec Annette Sanger « Applied Ethnomusicology : the Use of Balinese Gamelan in Recreational and Educational Music Therapy. » British Journal of Music Education 4, 1 : 5–16.

1986                   Avec Annette Sanger « Applied Ethnomusicology : the Use of Balinese Gamelan in Music Therapy. » International Council for Traditional Music (UK Chapter) Bulletin, 15 : 25–28.

1986                   « Computational Techniques in Musical Analysis. » Bulletin of Information on Computing and Anthropology (University of Kent at Canterbury), 4 : 1–5.

1985                   « The Dialectical Approach : a Methodology for the Analysis of Tabla Music. » International Council for Traditional Music (UK Chapter) Bulletin, 12 : 4–12.

1984                   « Linguistic Study of Rhythm: Computer Models of Tabla Language. » International Society for Traditional Arts Research Newsletter, 2 : 28–33.

1984                   « Listen Out for the Tabla. » International Society for Traditional Arts Research Newsletter, 1 : 13–14.

Comptes ren­dus    

2012                   Elliott, Robin and Gordon E. Smith, dir. : Music Traditions, Cultures and Contexts, Wilfrid Laurier University Press,  in « Letters in Canada 2010 », University of Toronto Quarterly, 81: 3 :779–80.

2006                   McNeil, Adrian Inventing the Sarod : A Cultural History. Calcutta : Seagull Press, 2004. Yearbook for Traditional Music, 38 : 133–35.

1999                   Myers, Helen, Music of Hindu Trinidad : Songs from the India Diaspora. Chicago Studies in Ethnomusicology. Chicago : University of Chicago Press, 1998. Notes : 427–29.

1999                   Marshall, Wolf, The Beatles Bass. Hal Leonard Corporation, 1998. Beatlology, 5.

1997                   Widdess, Richard, The Ragas of Early Indian Music: Music, Modes, Melodies, and Musical Notations from the Gupta Period to c.1250. Oxford Monographs on Music. Oxford : Clarendon Press, 1995. Journal of the American Oriental Society, 117, 3 : 587.

1994                   Rowell, Lewis, Music and Musical Thought in Early India. Chicago Studies in Ethnomusicology, edit­ed by Philip V. Bohlman and Bruno Nettl. Chicago and London : The University of Chicago Press, 1992. Journal of the American Oriental Society, 114, 2 : 313.

1992                   Compte ren­du CD : « Bengal : chants des ‘fous’ », par Georges Luneau & Bhaskar Bhattacharyya, and « Inde du sud : musiques rit­uelles et théâtre du Kerala », par Pribislav Pitoëff. Asian Music 23, 2 :181–84.

1992                   Witmer, Robert, dir. : “Ethnomusicology in Canada : Proceedings of the First Conference on Ethnomusicology in Canada.” (CanMus Documents, 5) Toronto, Institute for Canadian Music, 1990. Yearbook for Traditional Music, 24 : 170–71.

1992                   Neuman, Daniel M. The Life of Music in North India: The Organization of an Artistic Tradition. Chicago, University of Chicago Press, 1990. Journal of the American Oriental Society, 112, 1 : 171.

1988                   Qureshi, Regula Burckhardt. Sufi Music of India and Pakistan : Sound, Context and Meaning in the Qawwali. Cambridge Studies in Ethnomusicology. Cambridge : CUP, 1986. International Council for Traditional Music (UK Chapter) Bulletin, 20 : 40–45.

1986                   Wade, Bonnie C. Khyal : Creativity with­in North India’s Classical Music Tradition. Cambridge Studies in Ethnomusicology. Cambridge : CUP. Journal of the Royal Asiatic Society : 144–46.

Enregistrements

1999                   Honouring Pandit Jasraj at Convocation Hall, University of Toronto. 2 CD set. Foundation for the Indian Performing Arts, FIPA002.

1995                   Pandit Jasraj Live at the University of Toronto. 2 CD set. Foundation for the Indian Performing Arts, FIPA001.

Livrets d’album musical

2009                   Liner notes for Mohan Shyam Sharma (pakhavaj): Solos in Chautal and Dhammar. India Archive Music CD, New York.

2007                   Liner notes for Anand Badamikar (tabla): Tabla Solo in Tintal. India Archive Music (IAM•CD 1084), New York.

2002                   Pandit Shankar Ghosh : Tabla Solos in Nasruk Tal and Tintal. CD, India Archive Recordings (IAM•CD1054), New York.

2001                   Shujaat Khan, Sitar : Raga Bilaskhani Todi & Raga Bhairavi. CD, India Archive Recordings (IAM•CD1046), New York.

1998                   Pandit Bhai Gaitonde : Tabla Solo in Tintal. CD, India Archive Recordings (IAM•CD1034), New York.

1995                   Ustad Amjad Ali Khan : Rag Bhimpalasi & Rag “Tribute to America”. CD, India Archive Recordings (IAM•CD1019), New York.

1994                   Ustad Nizamuddin Khan : Tabla Solo in Tintal. CD, India Archive Recordings (IAM•CD1014), New York.

1992                   Rag Bageshri & Rag Zila Kafi, played by Tejendra Narayan Majumdar (sar­od) and Pandit Kumar Bose (tabla). CD, India Archive Recordings (IAM•CD 1008), New York.

Hommage

1990                   « In Memoriam : Afaq Husain (1930-1990). » Ethnomusicology 34, 3 : 429–30.

1990                   « In Memoriam : John Blacking (1928-1990). » Ethnomusicology 34, 2 : 263–6.


➡ A new ver­sion of Bol Processor com­pli­ant with var­i­ous sys­tems (MacOS, Windows, Linux…) is under devel­op­ment. We invite soft­ware design­ers to join the team and con­tribute to the devel­op­ment of the core appli­ca­tion and its client appli­ca­tions. Please join the BP open dis­cus­sion forum and/or the BP devel­op­ers list to stay in touch with work progress and dis­cus­sions of relat­ed the­o­ret­i­cal issues.

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