Entretien avec James Kippen
➡ English version
Par Antoine Bourgeau
James Kippen est un des spécialistes incontournables de la musique hindoustanie. Sa rencontre en 1981 avec Afaq Hussain, alors doyen d’une des grandes lignées de joueur de tablā, est le point de départ d’importantes recherches sur cet instrument et sur les rythmes indiens. Il a occupé de 1990 à 2019 la chaire d’ethnomusicologie de la Faculty of Music de l’Université de Toronto (Canada). Formé à l’école de John Blacking et de John Baily, il acquiert parallèlement au cours de ses recherches la maîtrise de certaines langues indo-persanes. Cette habilité lui permet l’analyse de première main de nombreuses sources (traités de musique, manuscrits de musiciens, généalogies, iconographies…) et d’appréhender les différents contextes socio-culturels indiens et leurs mutations depuis le XVIIIe siècle (cours indo-persanes, empire colonial britannique, montée du nationalisme, post-colonialisme). Son travail (voir la liste de ses publications en fin d’entretien) s’impose comme une contribution majeure à la compréhension des pratiques relatives au rythme et au mètre en Inde. J’ai commencé à correspondre avec James Kippen lors de mes propres recherches sur le tablā à la fin des années 1990. Toujours prompt à partager ses connaissances et son expérience avec enthousiasme, il me donna de nombreux conseils et encouragements et ce fût un grand honneur de le compter parmi les membres de mon jury de thèse lors de ma soutenance en 2004. C’est avec la même envie de transmettre qu’il a répondu favorablement à ma proposition d’entretien. Réalisé à distance entre juillet et décembre 2020, cet échange, à l’origine en anglais, relate près de quarante années de recherches ethnomusicologiques.
Traduction : Olivia Levingston et Antoine Bourgeau – Octobre 2021.
➡ Source = doi:10.13140/RG.2.2.26071.80804
➡ English version = doi:10.13140/RG.2.2.12650.03522
or https://bolprocessor.org/kippen-interview/
La voie de l’Inde et du tablā
Comment en es-tu venu à t’intéresser aux musiques de l’Inde et au tablā en particulier ?
J’ai grandi à Londres, et déjà enfant j'étais fasciné par les différentes langues et cultures qui étaient introduites progressivement en Grande-Bretagne par les immigrants. J’étais particulièrement séduit par les petites épiceries regorgeant de produits exotiques et par les restaurants indiens qui dégageaient des arômes épicés alléchants. Mon père me parlait souvent de ses aventures pendant les sept années qu'il avait passées en Inde en tant que jeune soldat, et j'ai donc développé une image très attrayante, bien qu’orientaliste, du sous-continent indien. Pendant ma licence de musique à l'Université de York (1975-78), mon ami et camarade Francis Silkstone m'a fait connaître le sitār. J'ai également eu la chance de suivre un cours intensif de musique hindoustanie avec le conférencier Neil Sorrell, qui avait étudié la sāraṅgī avec le renommé Ram Narayan. La littérature disponible à cette époque était relativement rare, mais deux textes en particulier étaient tout de même très influents : « Tabla in Perspective » de Rebecca Stewart (UCLA, 1974), qui a nourri en moi un intérêt musicologique pour les variétés et les complexités du rythme et le jeu des percussions et « The Cultural Structure and Social Organization of Musicians in India : the Perspective from Delhi » de Daniel Neuman (Université de l'Illinois, Urbana-Champaign, 1974), un aperçu socio-anthropologique du monde des musiciens traditionnels et héréditaires indiens et de leurs points de vue.
J’ai donc commencé à apprendre le tablā à partir des disques 33 tours et des livrets de Robert Gottlieb appelés « 42 Lessons for Tabla », et après quelques mois, j'avais appris suffisamment de techniques de base pour accompagner F. Silkstone lors d’un récital. J'ai ensuite été l’élève de Manikrao Popatkar, un excellent joueur de tablā professionnel qui venait d’immigrer en Grande-Bretagne. J'étais « accro » ! De plus, la pensée que je pourrais entrer dans ce monde socio-musical du tablā en Inde en qualité de participant-observateur m'a motivée à chercher des programmes d'études supérieures où je pourrais développer mes connaissances et compétences tout en combinant les approches musicologiques et anthropologiques de R. Stewart et D. Neuman. Sur les conseils de N. Sorrell, j'ai donc écrit à John Blacking au sujet de la possibilité d'étudier à l'Université Queen's de Belfast, et John a été très encourageant, en m'offrant une entrée directe au programme de doctorat. Il a également souligné que son collègue John Baily avait récemment écrit un texte : « Krishna Govinda's Rudiments of Tabla Playing ». J'avais trouvé le programme d'études supérieures idéal et des guides parfaits.
Approches méthodologiques
« How Musical Is Man » de J. Blacking est un texte fondamental paru en 1973, à contre-courant de la pensée de l’époque, refusant les frontières entre musicologie et ethnomusicologie ainsi que les oppositions stériles entre les traditions musicales. J. Blacking avance également l’idée essentielle que la musique, même si ce mot n’existe pas partout, est présente à travers toutes les cultures humaines, en ce qu’elle résulte du « son humainement organisé ». Sais-tu s’il connaissait les propos d’E. Varèse ? Voulant lui aussi se démarquer de la signification occidentale du concept de « musique », bien que pour d’autres raisons, il avait avancé en 1941 l’expression de « son organisé ».
Je ne me souviens pas que J. Blacking ait mentionné Varèse ou ses réflexions sur la nature de la musique. John était par contre un excellent musicien et pianiste qui avait sans doute rencontré et étudié beaucoup de musique d'art occidental, et il est donc possible qu'il ait connu la définition de Varèse. Cependant, alors que la philosophie de Varèse est née de la conviction que les machines et les technologies seraient capables d'organiser le son, J. Blacking a voulu porter l’attention sur la musique comme fait social : une activité où la multitude des façons dont les êtres humains produisent leurs sons, à la fois comme interprètes et surtout comme auditeurs, permettrait de révéler beaucoup de choses sur leur structure sociale.
En quoi tes études universitaires ont-elles orienté tes recherches ?
J'ai eu la chance d'avoir non pas un mais deux mentors : J. Blacking et J. Baily, tous deux très différents. J. Blacking regorgeait d’idées, grandes et inspirantes, qui ont défié et révolutionné la façon dont on pense la musique et la société, tandis que J. Baily a mis l'accent sur une approche plus méthodique et empirique fondée sur la performance musicale et sur la gestion scrupuleuse de l'acquisition et la documentation des données.
Il ne faut pas oublier que j'étais jeune et inexpérimenté lorsque j'ai entrepris ce travail de terrain, et donc l'exemple de J. Baily, axé sur la musique et la collecte de données, m’a servi de guide pratique dans ma vie quotidienne pendant mes années en Inde. Et lorsque j’avais en ma possession un énorme corpus de données, j'ai pu prendre du recul et, inspiré par J. Blacking, j’ai pu identifier certains des grands modèles que ces données mettaient en lumière. J'ai donc été frappé par le récit cohérent du déclin culturel lié à la nostalgie d'un passé glorieux et artistiquement abondant, et la tradition musicale du tablā de Lucknow était l'un des derniers liens vivants avec ce monde perdu. Cela est devenu l'un des thèmes clés de ma thèse de doctorat et de certains des autres travaux qui ont suivi. Quant à ma carrière d'enseignant, j'ai essayé au fil des ans de combiner les meilleures qualités de mes deux maîtres, tout en promouvant toujours l'idée que, dans les recherches portant sur la musique et la vie musicale, la théorie devrait naître à partir de données solides et ne jamais ignorer le dialogue avec la réalité ethnographique afin de préserver ainsi sa valeur heuristique.
Dans « Working with the Masters » (2008), tu décris avec détails et franchise (ce qui est assez rare dans la profession !…) ton expérience de terrain dans les années 1980 avec Afaq Hussain. Cette expérience, et le récit que tu en fais, apparaissent comme un modèle pour toute recherche en ethnologie et en ethnomusicologie avec la particularité de l’apprentissage musical. Tu rends compte ainsi des phases d’approche, de rencontre, de test et, enfin (et heureusement dans ton cas) d’acceptation au sein de l’environnement étudié et de la confiance accordée permettant de déployer pleinement ses intentions de recherche et d’apprentissage musical. Tu abordes aussi les réflexions éthiques et déontologiques indispensables au chercheur : relation aux autres, conflits de loyauté résultant des possibles dissonances entre le rapport à l’informateur et les objectifs ethnographique, responsabilités vis à vis du savoir récolté et place du chercheur-musicien dans la réalité musicale de la tradition étudiée. Au-delà des particularités du contexte musical, y a-t-il des spécificités indiennes que les chercheurs occidentaux doivent avoir en tête pour entreprendre (et espérer réussir) une étude ethnologique en Inde ?
La société sud-asiatique a énormément changé au cours des 40 années qui se sont écoulées, c’est une évidence, et ce depuis que j'ai commencé à mener des recherches ethnographiques. Mais certains principes, ceux qui devraient guider le processus d'enquête, demeurent inébranlables. C’est le cas du profond respect pour la dimension de l'ancienneté, qu’elle soit sociale ou culturelle. Naturellement, l'accès à une communauté est la clef de voute, et il n'y a pas de meilleur « gatekeeper » ou « sponsor » (pour utiliser les termes anthropologiques) qu'une figure d'autorité au sein de la sous-culture que l'on étudie, puisque la permission que l'on reçoit se répercute sur la hiérarchie sociale et familiale. Le danger, dans une société fortement patriarcale comme celle de l'Inde, est que l'on se retrouve avec une vision hiérarchique descendante de la vie musicale. Si j'avais l'occasion de reprendre mes recherches dans ce domaine, j'accorderais une plus grande attention à ceux qui se trouvent à différents niveaux de cette hiérarchie, en particulier aux femmes et à la musicalité quotidienne de la vie dans la sphère domestique. En se concentrant uniquement sur les aspects les plus raffinés de la production culturelle, on peut passer à côté de ce qui a de la valeur dans la formation des idées, de l'esthétique et des mécanismes de soutien nécessaires à la survie et à l'épanouissement d'une tradition artistique.
Sur une note plus pragmatique (et qui concerne plus souvent il me semble les aspects relatifs au travail sur le terrain), j'ai trouvé que les entretiens formels enregistrés étaient rarement très fructueux parce qu'ils étaient ressentis comme intimidants et étaient accompagnés d'attentes élevées. En outre, une sensibilité accrue aux ramifications politiques – micro et macro – nous engageant à parler selon nos convictions, représentait souvent un obstacle à la collecte d'informations. En vérité, officieusement et dans des circonstances détendues, moins je demandais et plus j'écoutais, plus l'information que je recevais était utile et intéressante. La mise en garde est que pour fonctionner de cette manière, il faut développer un niveau de patience que la plupart des Occidentaux auraient du mal à accepter.
Tu adoptes dans les années 1980 l’« approche dialectique » enseignée par J. Blacking en y associant l’informatique et un programme d’IA. Le but était d’analyser les fondements du jeu improvisé des joueurs de tablā. Peux-tu revenir sur la genèse et l’évolution de cette approche ?
J. Blacking était particulièrement intéressé par le travail de Noam Chomsky sur les grammaires transformationnelles. Il théorisait sur le fait que l'on pouvait créer des ensembles de règles pour la musique – une grammaire – avec plusieurs « couches » ; la première décrirait comment ces structures sonores de surface étaient organisées. Les autres plus profondes, comprendraient des règles abordant des principes de plus en plus généraux sur l'organisation musicale et, au niveau le plus profond, la grammaire formaliserait les règles régissant les principes de l'organisation sociale. Si le but ultime d'un ethnomusicologue est de relier la structure sociale à la structure sonore, ou vice versa, alors c'était cette idée que J. Blacking défendait pour atteindre cet objectif.
L’été 1981, j'ai fui la chaleur intense des plaines du nord de l'Inde et me suis réfugié près de Mussoorie dans les contreforts de l'Himalaya. J'avais convenu de retrouver mon ami F. Silkstone, qui à l'époque étudiait le sitār avec Imrat Khan et le dhrupad avec Fahimuddin Dagar à Calcutta. Francis est arrivé avec Fahimuddin et l'un des étudiants américains de Fahim, Jim Arnold. Jim et Bernard Bel (un informaticien et mathématicien qui vivait à l'époque à New Delhi) travaillaient ensemble pour un projet expérimental sur l'intonation dans le rāga. Bernard est alors arrivé à Mussoorie, également pour échapper à la chaleur, et pendant environ un mois nous avons tous vécu ensemble dans un environnement riche et fertile de musique et d'idées. C'est là que Bernard et moi avons discuté pour la première fois de la notion des grammaires socio-musicales de J. Blacking, ainsi que de ma fascination pour un type de composition des joueurs de tablā, avec une structure offrant un thème et des variations, connues sous le nom de qāida. J’étais très curieux d’apprendre que Bernard pouvait concevoir un programme informatique capable de modéliser le processus de création de variations à partir d'un thème donné.
L'année suivante, Bernard et moi nous sommes rencontrés à plusieurs reprises : il en a appris beaucoup plus sur le fonctionnement du tablā et j'ai beaucoup appris sur la linguistique mathématique. Ensemble, nous avons créé des ensembles de règles – des grammaires transformationnelles – qui ont généré des variations à partir d'un thème de qāida et traité des variations existantes pour déterminer si nos règles pouvaient en tenir compte. Mais il était évident que les connaissances modélisées étaient les miennes et non celles de musiciens experts. Alors nous avons développé une stratégie pour impliquer ces experts en tant que « collaborateurs et analystes » (une expression souvent utilisée par J. Blacking) dans un échange dialectique. Après tout, un « système expert » était destiné à modéliser les connaissances d'experts, et il n'y avait pas de meilleur expert qu'Afaq Hussain.
➡ Pour plus d’informations sur ces expériences, voir : https://bolprocessor.org/bp1-in-real-musical-context/
Avais-tu connaissance d’autres types de démarches interactives comme celle du re-recording développée un peu plus tôt par S. Arom ?
J'étais au courant des méthodes interactives de S. Arom pour obtenir les propres perspectives des musiciens sur ce qui se passait dans leur musique, tout comme j'étais au courant des travaux en anthropologie cognitive visant à déterminer les catégories cognitives significatives pour les personnes que nous étudiions. La thèse de S. Arom selon laquelle les données culturelles devaient être validées par nos interlocuteurs a certainement été très influente. Je ne connaissais pas d'autres approches. Les exigences de notre situation expérimentale particulière nous ont obligés à inventer notre propre méthodologie unique pour ce processus d’interaction homme-machine.
On connaît la crainte des maîtres indiens d’une diffusion de leurs savoirs au-delà de leur gharānā, et en particulier certaines techniques et compositions. Quelles étaient l’attitude et l’implication d’Afaq Hussain dans cette démarche qui mettait à jour les structures des qāida ?
Afaq Hussain n'était pas du tout préoccupé par les révélations concernant le qāida puisque l'art de les jouer dépendait de sa capacité à improviser. En d’autres termes, il s’agissait d’une activité axée sur les processus et donc en constante évolution. A l’inverse, les compositions fixes, en particulier celles transmises de génération en génération au sein de la famille, ne changeaient pas. Celles-ci étaient considérées comme des atouts précieux et étaient soigneusement gardées.
Lorsque je repense aux expériences scientifiques, je m'étonne que Bernard ait pu créer une grammaire générative aussi puissante pour un ordinateur (d'abord un Apple II avec 64k RAM, puis le portable 128k Apple IIc) avec une puissance de traitement et un espace aussi limité. Afaq Hussain s'est également étonné qu'une machine « puisse penser », pour reprendre son expression. Nous avons commencé par une grammaire de base pour un qāida donné, puis généré quelques variations, et je les ai ensuite lues à voix haute en utilisant la langue syllabique, les bols pour tablā. De nombreux résultats étaient prévisibles, certains étaient inhabituels mais néanmoins acceptables, et d'autres ont été jugés erronés – techniquement et esthétiquement. Nous avons ensuite demandé à Afaq Hussain de proposer ses propres variations ; celles-ci ont été introduites dans l'ordinateur (j’ai effectué la saisie en utilisant un système de corrélation de clés pour gagner en rapidité) et « analysées » pour déterminer si les règles de notre grammaire pouvaient en tenir compte. De simples ajustements aux règles étaient possibles in situ, mais lorsqu'une reprogrammation plus complexe était nécessaire, nous passions à un deuxième exemple et revenions à l’exemple d'origine dans une session ultérieure.
Est-ce que ces recherches ont concerné d’autres types de composition comme les gat ou les tukra ?
Non. L'avantage d’observer une structure de thème et de variations comme celle des qāida est fondé sur le fait que chaque composition est un système fermé où les variations (vistār) sont limitées aux éléments présentés dans le thème. Le but est donc de comprendre les règles non écrites pour créer des variations. Les compositions fixes comme les gat, ṭukṛā, paran, etc., comprennent une variété d'éléments beaucoup plus large et plus imprévisible, et seraient ainsi très difficiles à modéliser. Cependant, nous avons pu expérimenter sur le type de composition appelé tihāī : la phrase répétée trois fois qui agit comme une cadence rythmique finale. Cette dernière peut être modélisée mathématiquement afin d’obtenir une formule arithmétique dans laquelle on peut proposer des phrases rythmiques, puis être appliquée soit à un qāida (un fragment de son thème ou l'une de ses variations), soit à des compositions fixes comme par exemple le ṭukṛā.
Est-ce que certaines phrases rythmiques générées par l’ordinateur et validées par Afaq Hussain ont intégré le répertoire du gharānā de Lucknow ?
C'est une question difficile. Lorsque nous étions au milieu d'une période intensive d'expérimentation avec le « Bol Processor », une sorte de dialogue se mettait en branle où Afaq Hussain alternait des phrases rythmiques générées par ordinateur avec des ensembles de variations qui lui étaient propres. Tant de compositions ont été générées et alternées de cette manière qu'il était souvent difficile de savoir si le répertoire qu'il jouait en concert provenait de l'ordinateur ou pas. Pourtant, alors que certains enseignants et interprètes développent un répertoire de variations fixes provenant d’un thème, Afaq Hussain lui l'a rarement fait, s'appuyant plutôt sur son imagination « dans l'instant ». C'est aussi l'approche qu'il a encouragée en nous. Par conséquent, je doute que le matériel généré par ordinateur soit devenu une partie permanente du répertoire.
Est-ce que ce type d’approche spécifique utilisant l’IA en ethnomusicologie a été poursuivi par d’autres ?
Le terme « Intelligence Artificielle » a fait l'objet d'un changement radical dans les années 1980-1990 grâce au développement de l'approche « connexionniste » (les neurones artificiels) et de techniques d'apprentissage à partir d'exemples capables de traiter une grande masse de données. Avec le Bol Processor (BP) nous étions au stade de la modélisation symbolique-numérique de décisions humaines représentées par des grammaires formelles, ce qui exigeait une connaissance approfondie, bien qu'intuitive, des mécanismes de décision.
Pour cette raison, les approches symboliques-numériques n'ont pas été reprises par d'autres équipes à ma connaissance. Par contre, nous avions aussi abordé l'apprentissage automatique (de grammaires formelles) à l'aide du logiciel QAVAID écrit sous Prolog II. Nous avons ainsi montré que la machine devait collecter des informations en dialoguant avec le musicien pour effectuer une segmentation correcte des phrases musicales et amorcer un travail de généralisation par inférence inductive. Mais ce travail n'a pas été poursuivi car les machines étaient trop lentes et nous ne disposions pas de corpus assez grands pour construire un modèle couvrant une grande variété de modèles d'improvisation.
Il se peut que des chercheurs indiens fassent appel à de l'apprentissage à partir d'exemples – qu'on appelle aujourd'hui « Intelligence Artificielle » – pour traiter de grandes masses de données produites par des percussionnistes. Cette approche « big data » a le défaut de manquer de précision dans un domaine où la précision est un marqueur d'expertise musicale, et de ne pas produire des algorithmes compréhensibles qui constitueraient une « grammaire générale » de l'improvisation sur un instrument de percussion. Notre ambition initiale était de contribuer à la construction de cette grammaire, mais nous avons seulement prouvé, avec la technologie de l'époque, que ce serait réalisable.
Dans les versions ultérieures, ce logiciel a pu procurer également de la matière et des outils pour le travail de composition en musique et en danse au-delà du contexte indien. On fêtera en 2021 les 40 ans de ce logiciel avec une nouvelle version. Quels sont les artistes qui ont utilisé le logiciel ?
Des compositions rythmiques programmées sur BP2 et interprétées sur un synthétiseur Roland D50 ont été utilisées pour l'œuvre chorégraphique CRONOS dirigée par Andréine Bel et produite en 1994 au NCPA de Bombay. Voir par exemple https://bolprocessor.org/shapes-in-rhythm/.
A la fin des années 1990, le compositeur néerlandais H. Visser a utilisé BP2 pour contribuer au développement d'opérateurs permettant la composition de musique sérielle. Voir par exemple https://bolprocessor.org/harm-vissers-examples/.
Nous avons eu des retours et demandes d'universitaires européens et américains qui utilisent BP2 comme outil pédagogique pour l'enseignement de la composition musicale. Mais nous n'avons jamais fait de campagne « publicitaire » à grande échelle pour agrandir la communauté d'utilisateurs, étant intéressés en priorité par le développement du système et la recherche musicologique qui lui est associée.
La principale limite de BP2 était son fonctionnement exclusif dans l'environnement Mac. C'est pourquoi la version BP3 en cours de développement est multiplateforme. Elle sera vraisemblablement mise en service en version « Cloud » rendu possible par son interaction étroite avec le logiciel Csound. Ce logiciel permet de programmer des algorithmes performants de production sonore et de travailler avec des modèles d'intonation microtonale que nous avons développés, aussi bien pour la musique harmonique que pour le raga indien – voir https://bolprocessor.org/category/related/musicology/.
Etudes de la notation, du mètre, du rythme et de leurs évolutions
Au fil de ton travail, la question de la notation musicale occupe une place importante autant sur le plan de la méthodologie que sur celui de la réflexion à propos de son usage. Tu as mis en place ton propre système afin de représenter le plus rigoureusement possible tes analyses des compositions de tablā et de pakhāvaj. Peux-tu nous parler de cet aspect de ton travail ?
Toutes les notations écrites sont des approximations incomplètes et leur contribution au processus de transmission est limité. Les représentations orales, comme les suites de syllabes énoncées (bols) représentant des frappes de percussion, transmettent souvent des informations plus précises sur la musicalité inhérente aux modèles, tels que l’accentuation, l'inflexion, le phrasé et la variabilité micro-rythmique. De même, une fois intériorisées, ces syllabes sont indélébiles. Nous savons que les systèmes oraux favorisent une bonne mémoire musicale, ce qui est particulièrement important dans le contexte de la performance musicale en Inde où les interprètes ne commencent qu'avec une feuille de route très générale, mais prennent ensuite toutes sortes de détours inattendus. Dans cette perspective, on pourrait se demander pourquoi écrire quoi que ce soit ?
À partir des années 1860, il y a eu un essor des notations musicales en Inde, inspiré il me semble par la prise de conscience que la musique occidentale possédait un système de notation efficace, et suscité aussi par l'augmentation constante de l'apprentissage institutionnalisé et d’un besoin apparent de textes pédagogiques et de répertoires. Pourtant, il n'y a jamais eu de consensus sur la façon de noter, et chaque nouveau système différait grandement des autres. La notation conçue en 1903 par Gurudev Patwardhan était sans doute la plus détaillée et la plus précise jamais créée pour les percussions comme le tablā et le pakhāvaj, mais elle était sûrement trop compliquée pour que les étudiants la lisent comme une partition. Son objectif premier était donc davantage d'être un ouvrage de référence qui préservait le répertoire et fournissait un programme pour un apprentissage structuré.
Nous vivons dans un monde de l’écrit et les musiciens reconnaissent que leurs élèves ne consacrent plus leurs journées entières à la pratique. Comme d'autres professeurs, Afaq Hussain nous a tous encouragés à écrire le répertoire qu'il enseignait pour qu'il ne soit pas oublié. Pour moi, il était particulièrement important de saisir deux aspects dans mes propres cahiers : la précision rythmique et les doigtés précis. En ce qui concerne ce dernier, par exemple, face à la phrase keṛenaga tirakiṭa takataka tirakiṭa, je m’assurais de noter correctement le doigté précis dans la douzaine de techniques possibles pour takataka, sans parler des variétés de keṛenaga, et j’indiquais également que les deux versions de tirakiṭa avaient été jouées légèrement différemment.
Afaq Hussain a gardé ses propres cahiers rangés en toute sécurité dans une armoire verrouillée. Il les consultait parfois. Je pense qu'il avait conscience du fait que le répertoire disparaissait effectivement avec la tradition orale. Après tout, il y a des centaines, voire des milliers de morceaux de musique. Son grand-père, Abid Hussain (1867-1936) fut le premier professeur de tablā au Bhatkhande Music College de Lucknow. Lui aussi a noté des compositions de tablā, et j'ai en ma possession des centaines de pages qu'il a écrites sans aucun doute pour être publiées sous forme de texte pédagogique. Cependant, il n'a pas indiqué de rythmes ou de doigtés précis, et l'interprétation de sa musique est donc problématique, même pour le fils d'Afaq Hussain, Ilmas Hussain, avec qui j'ai passé tout son répertoire au peigne fin. Une notation précise a donc de la valeur, si elle est accompagnée d'une tradition orale qui peut ajouter toutes les informations nécessaires pour donner vie à la musique.
Avec tes recherches récentes sur de nombreux textes indo-persans des XVIIIe et XIXe siècles, tu mets en évidence l’évolution de la représentation de la métrique en Inde. Ces recherches illustrent l’importance de l’approche historique et mettent en évidence pleinement les mécanismes d’évolution des faits culturels. Quels sont les concepts que tu utilises pour décrire ces phénomènes ?
Une facette importante de notre formation anthropologique était d'apprendre à fonctionner dans la langue de ceux avec qui nous nous sommes engagés dans nos recherches, non seulement pour gérer la vie au quotidien, mais aussi pour avoir accès à des concepts qui sont significatifs dans la culture étudiée. Deux termes sont importants à cet égard, l'un dont l'importance est à mon avis exagérée, l'autre sous-estimée. Premièrement, gharānā, qui depuis sa première apparition dans les années 1860 signifiait « famille » mais qui, au fil du temps, en est venu à englober toute personne qui croit partager certains éléments de technique, de style ou de répertoire avec une personne dominante du passé. Deuxièmement, silsila, un terme commun dans le soufisme qui signifie « chaîne, connexion ou succession », et qui a une pertinence spécifique dans le cas de l’enseignement dans une lignée de musiciens. C'est cette silsila plus précise qui détient, selon moi, la clé de la transmission de la culture musicale, et pourtant le paradoxe est que la chaîne porte en elle une directive implicite pour explorer l’individualité créatrice. C'est pourquoi, par exemple, lorsque l'on examine la lignée des joueurs de tablā de Delhi à partir du milieu du XIXe siècle, on constate des différences majeures de technique, de style et de répertoire d'une génération à l'autre. Il en va de même pour mon professeur Afaq Hussain, dont le jeu différait grandement de celui de son père et enseignant Wajid Hussain. Chaque individu hérite d'une certaine essence musicale dans la silsila, bien sûr, mais il doit s'engager et opérer dans un monde en constante évolution où la survie artistique nécessite une adaptation. Il est donc d'une importance vitale lors de l'étude de toute époque musicale de recueillir autant d'informations que possible sur le milieu socioculturel observé.
Comme je viens de le démontrer, il est impératif de s'engager avec des concepts de la culture, de les expliquer et de les utiliser sans recourir à la traduction. Un autre excellent exemple est celui du terme tāla, qui est le plus souvent traduit par mètre ou cycle métrique. Et pourtant, il y a une différence fondamentale entre les deux. Le mètre est implicite : c'est un motif qui est dérivé des rythmes de surface d'une pièce, et se compose d'une impulsion sous-jacente qui est organisée en une séquence hiérarchique récurrente de battements forts et faibles. Mais, par contraste, tāla est explicite : c'est un motif récurrent de battements non hiérarchiques se manifestant par des gestes de la main consistant en des claps, des mouvements silencieux de la main et des comptes sur les doigts, ou comme une séquence relativement fixe de frappes de percussion. Utiliser le terme « mètre » dans le contexte indien est donc trompeur, et j'encourage donc l'utilisation de terme tāla avec une explication mais sans traduction.
Tu travailles actuellement sur un ouvrage concernant les sources du XVIIIe et XIXe siècles, quel est ton objectif ?
Mon objectif est de retracer les origines et l'évolution du système du tāla actuellement utilisé dans la musique hindoustanie en rassemblant autant d'informations que possible à partir de sources contemporaines de la fin du XVIIe siècle jusqu’au début du XXe siècle et de l'ère de l’enregistrement. Le problème est que les informations disponibles sont fragmentaires et souvent rédigées dans un langage obscur : la tâche s'apparente à un puzzle où la plupart des pièces manquent. De plus, les sources que l'on trouve ne sont pas nécessairement directement connectées, et donc j’ai plutôt l’impression de travailler avec deux ou plusieurs puzzles à la fois. En bref, après une analyse minutieuse, des déductions et des hypothèses, je pense qu'il y a eu une convergence des systèmes rythmiques au XVIIIe siècle qui a donné naissance au système du tāla d'aujourd'hui.
Les pratiques musicales et les contextes sociaux des diverses communautés (les Kalāwant qui chantaient le dhrupad, les Qawwāl qui chantaient le khayāl, le tarāna et le qaul, ainsi que la communauté des Ḍhāḍhī qui accompagnaient tous ces genres musicaux), doivent impérativement être pris en compte pour comprendre comment et pourquoi la musique et le rythme en particulier, ont évolués comme ils l'ont fait. Pourtant, il y a tant d'autres aspects importants dans cette histoire : le rôle des femmes instrumentistes dans les espaces privés de la vie moghole au XVIIIe siècle, et leur disparition progressive au XIXe siècle, le colonialisme, le statut et l'influence des textes anciens, les techniques d'impression et la diffusion de nouveaux textes pédagogiques à la fin du XIXe siècle, pour n'en citer que quelques-uns.
Quelles sont les sources intéressantes à considérer pour comprendre l’évolution des pratiques et des représentations rythmiques de la musique hindoustanie ?
Le nord de l'Inde a toujours été ouvert aux échanges culturels, et cela était particulièrement le cas sous les Moghols. Il est impératif de comprendre qui se rendait dans ces cours, d'où ils venaient et ce qu'ils jouaient. Il est tout aussi important de comprendre les documents écrits disponibles ainsi que les discours intellectuels de l'époque, car la connaissance de la musique était cruciale pour l'étiquette moghole. Ainsi, quand on sait que le traité de musique très influent Kitāb al-adwār, du théoricien du XIIIe siècle Safi al-Din al-Urmawi al-Baghdadi, était largement disponible en Inde en arabe et en traduction persane, et que des exemplaires se trouvaient dans la collection des nobles de Delhi à partir du XVIIe siècle, on comprend mieux pourquoi le rythme indien était expliqué en utilisant les principes de la prosodie arabe à la fin du XVIIIe siècle. Mon argument est que la prosodie arabe, appliquée à la musique, était un outil plus puissant que les méthodes traditionnelles de prosodie sanskrite, et qu’elle était donc plus efficace pour décrire les changements qui se produisaient dans la pensée et la pratique rythmique à cette époque.
Ces recherches ethno-historiques bousculent parfois les croyances de certains musiciens et chercheurs, notamment sur les questions d’ancienneté et d’« authenticité » des traditions. Penses-tu que les musiciens d’aujourd’hui sont davantage enclins à accepter les évidences de la nature complexe des traditions musicales, formées de multiples apports et en perpétuelles transformations ?
Certains le sont, mais certains ne le sont pas. Il y a toujours eu un petit nombre de chercheurs en Inde qui menaient des recherches précieuses et factuelles sur la musique. Pourtant, je suis déçu de constater qu'il y en a beaucoup d'autres qui reposent sur le rabâchage et la diffusion d'opinions non fondées et non savantes. Ce qui me surprend peut-être le plus, c'est le manque de formation scientifique rigoureuse dans les universités de musique en Inde et la persistance d'idées et d'informations réfutées ou discréditées en dépit de tant d'excellentes recherches publiées indiquant le contraire.
Depuis les années 1990, on constate le renforcement d’un nationalisme hindou au sein de la société indienne. Notes-tu un impact particulier sur le monde de la musique hindoustanie et sur celui de la recherche ?
Il s’agit là d’un sujet complexe et sensible. Le nationalisme hindou n'est pas nouveau, loin de là, et comme je l'ai démontré dans mon livre sur Gurudev Patwardhan, il a constitué une partie importante de la raison d'être de la vie et de l'œuvre de Vishnu Digambar Paluskar au début du XXe siècle. Comme de nombreux chercheurs l'ont souligné, ce nationalisme avait ses racines dans le colonialisme et s'est développé en tant que mouvement anticolonial axé sur la politique identitaire hindoue. Ce récit, basé sur des notions inventées d'un passé hindou glorieux, a minimisé les contributions de la culture moghole et des grandes lignées de musiciens musulmans (sans parler des femmes). Depuis ce temps, l'identité musulmane indienne dans le domaine de la musique a connu un certain déclin. Les chercheurs ont pris note de cette chute et ont tenté de retracer certains des contre-récits qui ont jusqu'à présent été ignorés, comme l'excellent livre de Max Katz Lineage of Loss (Wesleyan University Press, 2017) sur une grande famille de musiciens-savants musulmans, nommée Shahjahanpur-Lucknow gharānā. Je pense que dans de nombreuses études actuelles qui portent sur la musique en Inde se trouve une forte motivation de ne pas omettre ces récits culturels importants, de les réanimer et de les replacer dans le grand récit de l'histoire de l'Asie du Sud.
A la suite de R. Stewart, tu as mis en évidence l’intrication complexe des approches rythmiques et métriques dans le jeu des joueurs de tablā en montrant qu’il résulte de divers apports culturels qui se sont succédés dans le temps. Avec l’intensification des échanges culturels mondiaux depuis la fin du XXe siècle, as-tu observé une ou des tendances évolutives dans le jeu des joueurs de tablā ?
Depuis l'inclusion du tablā dans la musique pop des années 1960, l’exaltante fusion jazz du groupe Shakti de John McLaughlin dans les années 1970 et l'omniprésence aujourd’hui du tablā dans la musique sous toutes ses formes, il semble tout naturel que les joueurs de tablā du monde entier aient envie d’explorer et d’expérimenter ses sons magiques. Zakir Hussain a montré la voie en démontrant la flexibilité et l'adaptabilité de cet instrument, ainsi que la vélocité viscérale et palpitante de ses motifs rythmiques.
Quant au tablā, dans le contexte de la musique de concert hindoustanie, j'ai remarqué que nombreux sont ceux qui tentent d'injecter ce même sentiment d'exaltation, renforcé de plus en plus, semble-t-il, par une amplification si forte qu'elle déforme le son et heurte les tympans du public jusqu'à la soumission. J'irais jusqu'à dire que c'est malheureusement devenu la norme. À cet égard, je me considère comme une sorte de puriste qui aspire à un retour à une pratique où le joueur de tablā maintient un rôle subtil, discret mais de soutien, et complète la ligne du soliste, en restant modeste et sans dominer la scène lorsqu'il est invité à faire une petite apparition ou un court solo. De la même manière, je désire un retour aux soli de tablā qui regorgent de contenu plutôt que d’« effets sonores ». Par « contenu », j'entends des compositions traditionnelles de caractère, dotées de techniques spécialisées, dont les compositeurs sont nommés et ainsi honorés. Et pourtant, il est douloureusement évident qu'un tel « contenu » n'atteint pas beaucoup de jeunes joueurs de nos jours.
Ethnomusicologie
Comme évoqué, tes recherches mettent en avant l’importance des sources historiques aussi bien que la prise en compte des phénomènes plus large comme l’orientalisme ou le nationalisme pour comprendre le présent des pratiques musicales indiennes. En même temps tu es très attentif aux intenses phénomènes transculturels actuels et à la nécessité de les appréhender. Dans la profession, le concept d’« ethnomusicologie » ne fait pas toujours consensus. Quelle est ta position par rapport à cette appellation et à l’objet de cette discipline en ce début du XXIe siècle ?
Je n'ai jamais été particulièrement à l'aise avec l'étiquette d’« ethnomusicologie ». Comme disait J. Blacking, toute musique est de la « musique ethnique », et par conséquent, il ne devrait pas y avoir de distinction entre les études sur le tablā, le gamelan, le hip-hop et celles sur Bach, Beethoven ou Brahms. Nous nous engageons tous dans un « discours sur la musique », une « musicologie ». L'avantage de termes comme « anthropologie » ou « sociologie » de la musique est qu'ils impliquent une gamme plus large d'approches théoriques et méthodologiques qui nous rappellent que la musique est un fait social. Pourtant, nous devons reconnaître que le champ des études ethnomusicologiques a évolué et que, de nos jours, une attention bien plus grande est accordée à des phénomènes comme le bruit ou les sons de la vie quotidienne. Par conséquent (sans vouloir paraître trop cynique) bien que dans certains milieux les « sound studies » soient traitées avec un certain mépris, ce terme très général est peut-être la définition la plus honnête et la plus précise de ce que nous (nous tous) faisons. Je reconnais toutefois qu'il serait dommage de rejeter complètement le terme « musique », et donc j’aime concevoir l'ethnomusicologie, la musicologie et la théorie musicale se réunissant sous la rubrique « musique et sound studies ».
Enseignement
Après une courte période à Belfast, tu as enseigné à Toronto, peux tu nous parler de ton expérience d’enseignement ?
Toronto est une ville merveilleuse et, selon la plupart des témoignages, c'est la ville la plus multiculturelle de la planète. Elle offre un environnement musical très riche et stimulant.
Miecyzslaw Kolinski a enseigné à l'Université de Toronto de 1966 à 1978. Ses intérêts ethnomusicologiques ont été façonnés par sa formation auprès de Hornbostel et Sachs, et par la vision d’un monde, partagée par tant de géants de notre discipline. Ses publications portent sur les bases scientifiques de l'harmonie et de la mélodie et il a développé des méthodes d'analyse interculturelle. Son approche a été catégoriquement rejetée dans ma propre formation avec John Blacking qui a toujours défendu avec véhémence le relativisme culturel, tout comme cela était en contradiction avec la formation de Tim Rice à l'Université de Washington. Tim a été embauché en 1974 et est parti pour l'UCLA en 1987. Comme moi à mes débuts, Tim a eu du mal à convaincre ses collègues de l'importance de l'approche ethnomusicologique et de la nécessité de traiter notre discipline avec le respect qu'elle mérite et les ressources qu'elle nécessite. Nous avons tous les deux beaucoup lutté. Tim a créé un programme qui est devenu connu sous ma direction sous le nom « The World Music Ensembles », et pour ma part j'ai acquis un gamelan balinais en 1993, aidé par mon épouse, l'ethnomusicologue Annette Sanger, ancienne collègue de J. Blacking. De plus, Tim et moi avons réussi à intégrer davantage les cours d'ethnomusicologie au cœur du programme pour nous assurer que tous les étudiants en musique, quels que soient leurs intérêts, soient exposés à notre approche et comprennent la valeur et l'importance d'une vision socialement fondée de toute musique. J’ai créé un cours d'introduction d'un an intitulé Music as Culture que j'ai co-enseigné pendant quelques années avec un collègue de musicologie : nous avons alterné nos cours, illustrant et croisant notre corpus et nos observations sur nos canons occidentaux et le vaste monde de la musique au-delà. Mon cours Introduction to Music & Society est devenu emblématique. Mon approche étant essentiellement modulaire, les thèmes choisis ont changé et se sont adaptés au fil du temps pour refléter des préoccupations plus contemporaines, notamment la musique et l'identité, l'expérience religieuse, la migration, le genre, la guérison et les sound studies.
Dans mes fonctions d’enseignant, j'ai conçu et enseigné une variété de cours : Hindustani music, Music & Islam, Theory & Method in Ethnomusicology, The Beatles, Anthropology of Music, Fieldwork, Music, Colonialism & Postcolonialism, Rhythm & Metre in Cross-Cultural Perspective, Transcription, Notation & Analysis, etc. J'ai travaillé avec la communauté sud-asiatique de Toronto pour organiser des concerts du chanteur Pandit Jasraj. Ils ont attiré des sponsors générant des bourses d'études fiables pour des étudiants dont les recherches portaient sur la musique hindoustanie. J'ai aidé à mettre en place un programme d'artiste en résidence, invitant des musiciens du monde entier à passer un trimestre avec nous à enseigner et à jouer. J'ai contribué à la refonte de nos programmes d'études supérieures axés sur la musicologie et j'ai introduit dans le programme d’étude une maîtrise et un doctorat en ethnomusicologie. Mais les deux réalisations dont je suis sans doute le plus fier sont premièrement les nombreux et merveilleux doctorants que j'ai encadrés, dont beaucoup ont eux-mêmes poursuivi une carrière dans le milieu universitaire, et deuxièmement le succès de mon initiative d’élargissement de notre représentation : nous sommes passés d'un seul poste de professeur à quatre titulaires à plein-temps en ethnomusicologie.
Quelle est ta place au sein du gharānā de Lucknow ?
J'ai beaucoup apprécié apprendre et jouer du tablā dans ma vie et je me considère extrêmement chanceux d'avoir eu un lien aussi étroit et productif avec l'un des joueurs de tablā les plus remarquables de l'histoire : Afaq Hussain. J'ai la chance d'avoir une bonne mémoire et j'ai donc encore dans ma tête un vaste répertoire de compositions merveilleuses remontant aux premiers membres de la lignée Lucknow qui ont prospéré à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle. Je suis particulièrement intéressé par la technique et j'ai passé beaucoup de temps à étudier les mécanismes du jeu. Cependant, je suis avant tout un érudit et, en pratique, je ne me fais aucune illusion d’être guère plus qu’un amateur. En effet, mon intérêt pour le jeu m'a fourni des aperçus extraordinaires de l'instrument et de son histoire.
Quant à ma place ou mon rôle au sein du gharānā de Lucknow, je dirais deux choses. Tout d'abord, je continue à faire partie de l'échange d'idées et de répertoire avec mes pairs aux côtés desquels j'ai étudié le tablā et qui font partie maintenant, comme moi, des grandes figures de la silsila, la lignée directe de l’enseignement d'Afaq Hussain. Ils me considèrent comme un professionnel avisé, une autorité dans mon domaine. Parfois, on me demande si je me souviens d'une composition rare sur laquelle il y a eu débat, et parfois j'introduis dans notre dialogue des informations et des questions issues de mes recherches qui suscitent un vif intérêt. Par exemple, le fils d'Afaq Hussain, Ilmas Hussain, et moi-même avons travaillé ensemble pour ressusciter les cahiers de son arrière-grand-père Abid Hussain et les placer dans leur contexte, non seulement celui de leur tradition mais aussi celui de la fin des années 1920 et du début des années 1930, années durant lesquelles Abid Hussain incarnait le tout premier professeur de tablā au Bhatkhande College de Lucknow. Enfin, je pense que mes travaux ont su attirer une plus grande attention sur la lignée de Lucknow. Quand je suis arrivé à la porte d'Afaq Hussain en janvier 1981, il était affaibli – psychologiquement et financièrement – et son avenir était incertain. D'autres étudiants étrangers ont suivi mon exemple et ont rejoint un nombre toujours croissant de disciples indiens venus pour apprendre. Mon livre, The Tabla of Lucknow, ainsi que d'autres facettes de mes recherches ont donc bien contribué à attirer l'attention nationale et internationale sur Afaq Hussain, son fils Ilmas et toute leur tradition.
Liste des publications
Ouvrages
2006 Gurudev’s Drumming Legacy : Music, Theory and Nationalism in the Mrdang aur Tabla Vadanpaddhati of Gurudev Patwardhan. Aldershot : Ashgate (SOAS Musicology Series).
2005 The Tabla of Lucknow : A Cultural Analysis of a Musical Tradition. New Delhi : Manohar (Nouvelle édition avec nouvelle préface).
1988 The Tabla of Lucknow : A Cultural Analysis of a Musical Tradition. Cambridge : Cambridge University Press (Cambridge Studies in Ethnomusicology).
Direction d’ouvrage
2013 avec Frank Kouwenhoven, Music, Dance and the Art of Seduction. Delft : Eburon Academic Publishers.
Direction de revue
1994-1996 Bansuri (A yearly journal devoted to the music and dance of India, published by Raga Mala Performing Arts of Canada). Volume 13, 1996 (60 pp), volume 12, 1995 (60 pp), volume 11, 1994 (64 pp).
Articles, chapitres d’ouvrages
À paraître « Weighing ‘The Assets of Pleasure’: Interpreting the Theory and Practice of Rhythm and Drumming in the Sarmāya-i ‘Ishrat, a Pivotal 19th Century Text. », in Katherine Schofield, dir. : Hindustani Music Between Empires : Alternative Histories, 1748-1887. Éditeur à préciser.
À paraître « An Extremely Nice, Fine and Unique Drum : A Reading of Late Mughal and Early Colonial Texts and Images on Hindustani Rhythm and Drumming. », in Katherine Schofield, Julia Byl et David Lunn, dir. : Paracolonial Soundworlds : Music and Colonial Transitions in South and Southeast Asia. Éditeur à préciser.
2021 « Ethnomusicology at the Faculty of Music, University of Toronto. » MUSICultures (Journal of the Canadian Society for Traditional Music). Vol. 48.
2020 « Rhythmic Thought and Practice in the Indian Subcontinent. » in Russell Hartenberger & Ryan McClelland, dir. : The Cambridge Companion to Rhythm. Cambridge University Press : 241-60.
2019 « Mapping a Rhythmic Revolution Through Eighteenth and Nineteenth Century Sources on Rhythm and Drumming in North India. » In Wolf, Richard K., Stephen Blum, & Christopher Hasty, dir. : Thought and Play in Musical Rhythm: Asian, African, and Euro-American Perspectives. Oxford University Press : 253-72.
2013 « Introduction. » In Frank Kouwenhoven & James Kippen, dir. : Music, Dance and the Art of Seduction. Delft : Eburon Academic Publishers : i-xix.
2012 « On the contributions of Pt. Sudhir V. Mainkar to our understanding of the tabla.” Souvenir Volume in Honour of Sudhir Vishnu Mainkar. Sharda Sangeet Vidyalaya : Mumbai.
2010 « The History of Tabla. » In Joep Bor, Françoise ‘Nalini’ Delvoye, Jane Harvey and Emmie te Nijenhuis, dir. : Hindustani Music, Thirteenth to Twentieth Centuries. New Delhi : Manohar : 459-78.
2008 « Working with the Masters. » In Gregory Barz and Timothy Cooley, dir. : Shadows in the Field : New Perspectives for Fieldwork in Ethnomusicology (2nd Edition révisée). Oxford University Press : 125–40.
2008 « Hindustani Tala : An Introduction. » Concise Garland Encyclopedia of World Music. New York : Garland [version condensée de la publication de 2000].
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1987 Avec Annette Sanger « Applied Ethnomusicology : the Use of Balinese Gamelan in Recreational and Educational Music Therapy. » British Journal of Music Education 4, 1 : 5–16.
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Comptes rendus
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2006 McNeil, Adrian Inventing the Sarod : A Cultural History. Calcutta : Seagull Press, 2004. Yearbook for Traditional Music, 38 : 133–35.
1999 Myers, Helen, Music of Hindu Trinidad : Songs from the India Diaspora. Chicago Studies in Ethnomusicology. Chicago : University of Chicago Press, 1998. Notes : 427–29.
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Enregistrements
1999 Honouring Pandit Jasraj at Convocation Hall, University of Toronto. 2 CD set. Foundation for the Indian Performing Arts, FIPA002.
1995 Pandit Jasraj Live at the University of Toronto. 2 CD set. Foundation for the Indian Performing Arts, FIPA001.
Livrets d’album musical
2009 Liner notes for Mohan Shyam Sharma (pakhavaj): Solos in Chautal and Dhammar. India Archive Music CD, New York.
2007 Liner notes for Anand Badamikar (tabla): Tabla Solo in Tintal. India Archive Music (IAM•CD 1084), New York.
2002 Pandit Shankar Ghosh : Tabla Solos in Nasruk Tal and Tintal. CD, India Archive Recordings (IAM•CD1054), New York.
2001 Shujaat Khan, Sitar : Raga Bilaskhani Todi & Raga Bhairavi. CD, India Archive Recordings (IAM•CD1046), New York.
1998 Pandit Bhai Gaitonde : Tabla Solo in Tintal. CD, India Archive Recordings (IAM•CD1034), New York.
1995 Ustad Amjad Ali Khan : Rag Bhimpalasi & Rag “Tribute to America”. CD, India Archive Recordings (IAM•CD1019), New York.
1994 Ustad Nizamuddin Khan : Tabla Solo in Tintal. CD, India Archive Recordings (IAM•CD1014), New York.
1992 Rag Bageshri & Rag Zila Kafi, played by Tejendra Narayan Majumdar (sarod) and Pandit Kumar Bose (tabla). CD, India Archive Recordings (IAM•CD 1008), New York.
Hommage
1990 « In Memoriam : Afaq Husain (1930-1990). » Ethnomusicology 34, 3 : 429–30.
1990 « In Memoriam : John Blacking (1928-1990). » Ethnomusicology 34, 2 : 263–6.
➡ A new version of Bol Processor compliant with various systems (MacOS, Windows, Linux…) is under development. We invite software designers to join the team and contribute to the development of the core application and its client applications. Please join the BP open discussion forum and/or the BP developers list to stay in touch with work progress and discussions of related theoretical issues.